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Nouvelle procédure de la CrEDH

26.10.2020

La charge de travail de la Cour européenne des droits de l’homme est bien connue et s’est accentuée ces dernières années. Parallèlement aux réformes institutionnelles développées par les protocoles additionnels 11 et 14, la cour de justice tente de faire face à l’augmentation constante du nombre de plaintes en adaptant la jurisprudence. Cette réaction de la Cour est compréhensible: augmenter son efficience se fait au détriment de la qualité des jugements et de l’examen individuel des cas. On observe en particulier trois différentes sortes de procédures, certaines étant en partie déjà prévues depuis longtemps, nombre d’entre elles n’ayant cependant pesé dans la balance que depuis peu.

Procédure de l’Arrêt Pilote (Pilot Judgment procedure / Piloturteil-Verfahren)

La Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) repose sur le principe de subsidiarité, c’est-à-dire l’obligation pour les Etats de mettre en œuvre la CEDH sur leur territoire. Ce n’est qu’exceptionnellement, dans le cas d’un dysfonctionnement propre à un cas particulier, que la Cour européenne des droits de l'homme (CrEDH) intervient de manière corrective. La procédure de plainte individuelle est prévue pour cette éventualité. Il peut cependant arriver qu’en raison d’une erreur dans le système juridique d’un Etat, des centaines voire des milliers de plaintes «individuelles» ayant la même problématique soient introduites simultanément devant la cour de justice de Strasbourg. Le terme «clone cases» s’est imposé pour définir ces cas. Face à cette situation, la cour de justice examine un cas approprié et établit un «arrêt pilote» qui déterminera la solution des cas clones pendants. Dans son arrêt pilote, elle définit quelles sont les mesures générales que l’Etat doit prendre afin d’éviter de futurs «clone cases» (malgré le fait qu’il n’a la compétence de ne juger que des cas individuels), et dans quelle mesure les compensations financières doivent être réparties. Pendant le traitement de l’arrêt pilote, la cour de justice actualise en général les «clone cases» déjà introduits. À l’aide de cette approche proactive, la Cour de justice entend montrer aux Etats comment les droits de la CEDH doivent être concrétisés, et diminue parallèlement sa charge de travail.

Le premier arrêt pilote – l’affaire Broniowski contre Pologne – en est un bon exemple. La grand-mère de Jerzi Broniowskys détenait des terres dans une région de la Pologne perdue lors du déplacement du pays vers l’ouest après la Seconde Guerre mondiale. L’ordre juridique polonais avait prévu une prétention en compensation aux personnes expropriées et à leur descendant·e·s. Cependant, l’aménagement légal prévu ne satisfaisait pas aux exigences du Protocole additionnel 1 de la CEDH. Cela a eu pour conséquence qu’en plus de Jerzy Broniowsky, quelque 80 000 autres personnes ont recouru à Strasbourg. L’arrêt pilote est formé de deux parties. Dans un premier arrêt datant du 22 juin 2004, la CrEDH conclut à la violation de la protection de la propriété (article 1 du Protocole additionnel 1) et montre en termes généraux avec quelles mesures il est possible d’éviter de telles atteintes. Dans un deuxième arrêt du 28 septembre 2005, la Cour prend connaissance de la réglementation du parlement polonais concernée dans l’«acte de juillet 2005» et autorise sur cette base un règlement amiable entre Jerzy Broniowsky et l’Etat polonais. Les deux jugements ne portent par conséquent pas uniquement sur le contenu du cas individuel, mais bien plus sur la solution de la problématique en elle-même. Dans la décision Wolkenberg et autres contre Pologne (Plainte-No. 50003/99) du 4 décembre 2007, la cour de justice a décidé qu’aucune plainte ne serait désormais recevable à ce sujet, car le problème était réglé. Entretemps, la Procédure de l’Arrêt pilote a été codifiée en tant que «Rule 64» dans la «Rules of Court» (en anglais, pdf 84 p.).

Règlement Amiable (Friendly Settlement / Gütliche Einigung)

L’article 39 CEDH dispose que les parties à un litige peuvent à tout moment de la procédure s’accorder par un règlement amiable. En général, l’Etat se résout à verser une compensation financière, et parfois (rarement) à présenter des excuses officielles, si la partie plaignante renonce formellement à toute autre action dans cette affaire. La pratique de l’ancienne cour de justice des règlements amiables consistait à rechercher une réparation appropriée parmi un large éventail de possibilités. La nouvelle cour de justice a diminué de plus en plus cette pratique et l’a transformée en une procédure accélérée dans laquelle la partie lésée se retrouve face à un catalogue de réparations prédéfinies, ce qui ne permet plus guère d’envisager d’autres possibilités d’indemnisation. Et ce particulièrement lors de «clone cases» où le greffe de la CrEDH dirige systématiquement la partie plaignante vers un règlement amiable. L’arrêt est dans ces cas standardisé et comprend rarement plus de deux à trois pages. Si une partie plaignante refuse d’accepter un «règlement amiable» prédéfini, elle se retrouve confrontée au risque que l’Etat prononce une déclaration unilatérale.

Déclarations Unilatérales (Unilateral Declarations / Einseitige Erklärungen)

La CEDH prévoit à son article 37 que la cour de justice peut décider de rayer une plainte de son registre lorsqu’«il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête». Sur la base de cette disposition, la Cour accepte depuis 2001 les «déclarations unilatérales» des Etats. Par une telle déclaration, l’Etat admet une violation de la CEDH et propose une compensation financière. Lorsque cette compensation correspond au montant déterminé par la Cour de justice dans des cas similaires, la Cour de justice accepte cette déclaration et raye la plainte de son registre. Par-là, la Cour de justice et l’Etat ont un moyen de pression pour obliger les parties plaignantes récalcitrantes à accepter un règlement amiable. Ces dernières années particulièrement, les déclarations unilatérales sont devenues de plus en plus courantes: en 2007, la Cour de justice a accepté 47 déclarations unilatérales, 78 en 2008, 142 l’année suivante, et jusqu’à 193 en 2010.

Etat actuel et perspectives

Parallèlement à ces nouveaux types de procédure destinés à accélérer le traitement des plaintes, les «clone cases», de plus en plus nombreux, ne font pas l’objet d’un examen individuel mais sont traités de manière sommaire en procédures de masse dans lesquelles les parties plaignantes ne sont plus que nommées sur une liste de compensation financière. Les Etats membres soutiennent fermement les efforts de la cour de justice pour augmenter son efficience. De son côté, la Cour souhaite davantage se concentrer sur des décisions importantes et s’occupe en priorité des cas de graves violations des droits humains.

Tant que les Etats européens ne décideront pas d’augmenter massivement les ressources de la Cour européenne des droits de l’homme, les réformes institutionnelles resteront lettre morte. Par ses décisions clés, la CrEDH restera le point de repère européen en matière de protection des droits humains. Cependant, la grande majorité des parties plaignantes sera indemnisée à l’aide d’une simple compensation financière qui peut ne pas sembler à la hauteur de la «justice de Strasbourg». Ainsi, il est d’autant plus impératif de permettre une protection efficiente des droits humains au niveau étatique, en garantissant la mise en œuvre du principe de subsidiarité de la CEDH.