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Les sources juridiques des droits humains en Suisse

23.10.2020

Les droits fondamentaux

Les droits humains sont formellement entrés en tant que droits fondamentaux dans la Constitution suisse, elle-même dictée par la puissance occupante française en 1798. De la Constitution de Malmaison de 1801 à la première Constitution fédérale du 12 septembre 1848, la protection des droits fondamentaux n'a cessé de s'étendre.

Au milieu du 20e siècle, la désuétude de la Constitution fédérale, dont la dernière révision remontait à 1874, est devenue évidente. La conception de la protection des droits humains a subi un tournant à la suite de la Seconde Guerre mondiale et avec la création des Nations Unies (ONU). Jusqu'alors, les droits humains n'étaient inscrits dans les constitutions des différents pays que comme «droits fondamentaux» et relevaient presque exclusivement de chaque État. Les droits humains et les droits fondamentaux ont connu un développement spectaculaire après que l'ONU a donné à la communauté des États un mandat explicite pour promouvoir leur respect et leur réalisation pour toutes et tous au vu des atrocités de la guerre. La Constitution fédérale de 1848 n'ayant pas suivi cette évolution, un consensus croissant s'est dégagé quant à la nécessité d'une révision.

C'est la raison pour laquelle le Tribunal fédéral reconnaît depuis 1959 des droits fondamentaux et des droits humains, bien qu’ils ne soient pas formellement inscrits dans la Constitution. Ce n'est qu'avec la révision de la Constitution fédérale en 1999 que le catalogue des droits fondamentaux sous sa forme actuelle a été créé. Sous le titre «Droits fondamentaux, citoyenneté et buts sociaux», ce catalogue, qui contient les droits classiques relatifs à la liberté, l'égalité des droits et autres garanties de l'État de droit ainsi que les droits sociaux fondamentaux, garantit une pluralité des droits humains.

La protection des droits humains dans le système fédéral

La Constitution fédérale n'est pas la seule source juridique suisse contenant un catalogue des droits fondamentaux. Chaque canton a sa propre Constitution, qui comporte généralement son propre catalogue. Alors que la Constitution fédérale ne fixe que le standard minimum pour la protection des droits fondamentaux, les cantons sont libres d'étendre leur protection. La Constitution du canton de Vaud prévoit par exemple un droit aux aides de l’État pour la formation professionnelle initiale et la Constitution cantonale genevoise garantit un droit au logement. Le premier n'est pas inclus dans la Constitution fédérale, tandis que le second n'est qu'un but social au niveau fédéral et ne peut donc pas être invoqué devant les tribunaux.

Comme il n'existe souvent aucune juridiction constitutionnelle des cantons, les droits fondamentaux au niveau cantonal n'ont que peu de portée en pratique. Toutefois, une plainte peut être déposée auprès du Tribunal fédéral contre une violation des droits constitutionnels cantonaux (art. 95 lit. c LTF). En pratique, ce sont les cantons qui jouent généralement un rôle de pionnier dans le développement de la protection des droits humains en Suisse. Les droits fondamentaux cantonaux et la jurisprudence qui s'y rapporte peuvent ainsi alimenter le débat au niveau national et contribuer à façonner la protection des droits fondamentaux pour tout le pays. Le débat sur le droit de vote des femmes illustre parfaitement le rôle que peuvent avoir les cantons. En effet, avant que les femmes ne soient autorisées à voter et à être élues au niveau fédéral, plusieurs cantons avaient déjà introduit le droit de vote et d’élection.

Les droits humains au niveau législatif

Les droits inscrits dans les constitutions s'adressent, à quelques exceptions près, aux autorités. Ces droits prescrivent le comportement que l'État doit adopter et définissent les limites de son action. En conséquence, les droits fondamentaux protègent l'individu contre les empiètements de l'État ou lui donnent droit à certaines prestations publiques. En revanche, ils ne sont généralement pas directement invocables entre particuliers.

L'article 35 de la Constitution fédérale oblige l'État à faire respecter les droits fondamentaux dans l'ensemble du système juridique. Ainsi, il existe un grand nombre de lois d'application en dehors de la Constitution fédérale qui contiennent des droits humains et garantissent que ceux-ci s’appliquent dans tous les domaines du droit, aux différents niveaux administratifs et entre particuliers.

L'exemple pratique de la protection contre la discrimination illustre ce système. L'article 8 alinéa 2 de la Constitution fédérale contient une interdiction générale de discrimination. Les alinéas 3 et 4 consacrent respectivement l’égalité des sexes ainsi que l’élimination des inégalités qui frappent les personnes en situation de handicap. Ces derniers constituent un mandat législatif:

  • Afin de mettre en œuvre le principe constitutionnel de l'égalité, la Loi fédérale sur l'égalité entre femmes et hommes (LEg) est entrée en vigueur en 1996. Elle vise l'égalité effective des femmes et des hommes dans la vie professionnelle, dans les relations de travail privées comme publiques. La LEg est directement applicable aux particuliers. Elle permet aux femmes et aux hommes de se défendre contre la discrimination dans la vie professionnelle et de faire valoir le principe constitutionnellement ancré de l'égalité de salaire.

  • La Loi fédérale sur l'élimination de la discrimination à l'égard des personnes handicapées (LHand) est entrée en vigueur en 2004 et facilite la participation indépendante des personnes en situation de handicap à la vie publique. Outre les mesures de promotion, la loi prévoit une interdiction de discrimination qui s’étend également aux services privés, ce qui la rend directement applicable aux particuliers.

  • La norme pénale contre la discrimination raciale (art. 261bis CPS) protège de la haine et la discrimination les groupes de personnes qui pourraient en être la cible en raison de leur appartenance raciale, ethnique, religieuse. Depuis un référendum en février 2020, son champ de protection s’étend à la caractéristique de l'orientation sexuelle. Comme il s’agit d’un délit poursuivi d’office, une violation (supposée) de la norme pénale peut être signalée par toute personne au poste de police le plus proche ou à un juge d'instruction. Les autorités sont tenues d'examiner les faits et, si nécessaire, d'engager des poursuites pénales

  • Le droit privé ne contient pas de règle explicite contre la discrimination. Toutefois, plusieurs dispositions garantissent une certaine protection contre la discrimination. Par exemple, l'article 28 du code civil suisse (CC) interdit les atteintes illicites à la personnalité et l'article 2 CC oblige à agir de bonne foi. Ensemble, ces normes protègent contre le refus d’embauche discriminatoire. En outre, le droit du travail contient un principe général d'égalité de traitement (art. 328 CO en relation avec l’art. 27 CC) et de protection contre les licenciements discriminatoires (art. 336 al. 1 let. a et b CO).

Le droit international des droits de l’homme dans l’ordre juridique suisse

La législation nationale est complétée par les traités internationaux de protection des droits humains, dont les plus connus sont la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pacte ONU I) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte ONU II).

L’ordre juridique suisse est moniste. Ainsi, selon le Tribunal fédéral, un «traité d’Etat approuvé par l'Assemblée fédérale devient contraignant pour la Suisse et fait partie intégrante de son droit national lorsque  les  instruments  de  ratification ont été échangés.» (ATF 105 II 49, 57 s). Il est donc possible d'invoquer les traités relatifs aux droits humains directement devant un tribunal suisse afin de faire valoir les revendications qui y sont contenues.

Toutefois, cette règle connaît des exceptions. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pacte ONU I) est classé par le Tribunal fédéral comme non justiciable. Cela signifie qu’il n'est que de nature programmatique selon la jurisprudence suisse, tout comme les objectifs sociaux de la Constitution fédérale. La Suisse se sent toutefois obligée de mettre en œuvre les droits humains du traité. Cependant, le Tribunal fédéral refuse aux particuliers la possibilité de saisir un tribunal suisse pour faire valoir un droit contenu dans le Pacte I de l’ONU. Le Comité responsable pour les droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, qui surveille la mise en œuvre du Pacte ONU I dans les États parties, a réprimandé à plusieurs reprises la Suisse pour cette interprétation minimale du traité.

Contrairement au système moniste, c’est une conception dualiste qui vaut en Allemagne ainsi que dans d’autres pays. Dans ce cas, le législateur convertit tous les traités ratifiés en lois nationales. Pour chaque droit humain ratifié au niveau international, il existe donc en Allemagne une transposition au sein du droit national.