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Mise en œuvre des droits humains en Suisse

24.04.2014

Les droits humains ont des effets dans un grand nombre de domaines de la vie: ils protègent les travailleur·euse·s contre les licenciements abusifs, garantissent le droit à un procès équitable et interdisent la torture et autres traitements dégradants des détenu·e·s. L’État est le principal responsable de la mise en œuvre des droits humains. Il en découle un certain nombre de devoirs afin de faire respecter lesdits droits au niveau national.

  • L’État a le devoir de mettre à disposition des voies de recours juridiques efficaces pour protéger les droits humains. Toute personne doit pouvoir faire valoir ses droits devant une autorité indépendante sur la base des conventions applicables en matière de droits humains ou de garanties similaires instituées dans des instances nationales (cf. art. 13 CEDH). En Suisse, ce sont les bureaux de médiation, l’administration et les tribunaux nationaux qui en sont chargés.

  • Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, la violation de certains droits fondamentaux entraîne l’obligation pour l’État partie de mener une enquête effective sur la violation et de la sanctionner. Cela s’applique au moins aux garanties telles que l’interdiction de la torture, le droit à la vie ou en cas de disparitions forcées.

  • La pratique constante de la Cour européenne des droits de l’homme et du Comité des droits de l’homme des Nations Unies oblige au demeurant les États parties à réparer les violations des droits humains. En outre, diverses conventions prévoient explicitement une obligation de réparation (cf. art. 14 de la Convention des Nations Unies contre la torture). Cependant, une obligation générale de réparation ne peut pas encore être présumée dans le domaine des droits humains.

  • Le devoir de prévention oblige les États à adopter une législation efficace pour protéger les droits humains en vigueur sur leur territoire (cf. art. 2 de la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes). On pourrait imaginer un devoir général de prévention qui découlerait des devoirs de protection de l’État, qui résultent eux-mêmes des droits humains.

Médiation et institution nationale des droits humains: application extrajudiciaire des droits humains

Si une personne ayant un lien avec la Suisse estime qu’un droit humain a été violé, elle possède différentes manières de faire valoir ses droits. A cette fin, il existe non seulement des procédures administratives ou judiciaires, mais également des procédures devant des médiateur·trice·s. Les bureaux de médiation visent la résolution extrajudiciaire des conflits entre les parties et assument une fonction importante dans l’application des droits civils et des droits humains. Ils jouissent d’une grande confiance de la population et assurent une grande accessibilité pour déposer des plaintes auprès d’un organisme indépendant. En outre, par leurs activités, les bureaux de médiation sensibilisent les autorités et contribuent à l’instauration de pratiques administratives conformes aux droits fondamentaux et à la mise en œuvre d’obligations de la Suisse en matière de droits humains.

Les institutions nationales des droits humains, telles que celles déjà établies en Allemagne, en Irlande ou en Norvège, jouent également un rôle important dans l’application extrajudiciaire des droits humains. La création d’une telle institution en Suisse pourrait contribuer au respect des droits humains. Les violations systématiques desdits droits pourraient alors faire l’objet d’enquêtes et les autorités fédérales et cantonales seraient sensibilisées et conseillées dans ce domaine.

Des autorités cantonales au Tribunal fédéral: application judiciaire des droits humains

Les droits humains sont dispersés dans une grande variété de textes juridiques, du fait de leurs domaines d’application nombreux et variés. Pour cette raison, l’application judiciaire de ces droits fondamentaux n’est pas uniforme, mais diffère selon la source juridique concernée.

La justiciabilité des droits humains

Alors que de nombreux droits humains sont ancrés de manière analogue dans le système juridique national, le contenu des droits humains se retrouve avant tout dans le droit international, notamment dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), les Pactes I et II des Nations Unies ou la Convention de Genève.

Le droit international, en tant que droit interétatique, s’adresse en premier lieu aux États contractants et non pas directement aux personnes vivant sur leur territoire. Les accords sur les droits humains et les droits individuels qui s’adressent uniquement à l’État ont un caractère «non auto-exécutoire» et ne peuvent donc pas être invoqués par les individus. Par exemple, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le Pacte des Nations Unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pacte ONU I) a un caractère purement programmatoire. Ainsi, les particuliers n’ont pas le droit de poursuivre l’État pour manquement aux obligations découlant de ce pacte. L’interprétation du Tribunal fédéral n’est pas partagée par le Conseil économique et social des Nations Unies, qui surveille la mise en œuvre du Pacte ONU I.

En revanche, les droits humains ayant un caractère «auto-exécutoire» sont justiciables devant les tribunaux nationaux. Par exemple, l’interdiction de la torture dans le Pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques (Pacte ONU II) est directement applicable et accorde, à une personne qui a subi de la torture, le droit d’invoquer cette disposition devant un tribunal suisse.

La procédure judiciaire

Lorsqu’un droit humain constitue un droit exécutoire en vertu du droit national ou international, la victime peut intenter une action en justice en cas de violation.

En Suisse, la procédure judiciaire à suivre devant les tribunaux varie considérablement selon le canton et la branche du droit. Le fédéralisme suisse permet aux cantons d’organiser leur propre système judiciaire. Les tribunaux varient en conséquence d’un canton à l’autre en termes de dénomination, de compétences et d’organisation. Les tribunaux de première instance sont généralement des tribunaux de district et les autorités cantonales responsables de la justice administrative. Dans les affaires civiles et pénales, les cantons sont également tenus de créer un tribunal de deuxième instance. En droit public, cependant, les tribunaux administratifs et de sécurité sociale cantonaux font office d’instances précédentes au Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral est la plus haute instance du système juridique suisse. Dans tous les domaines du droit, elle statue en dernière instance pour les litiges entre les particuliers, les cantons et la Confédération. La cour est notamment chargée de protéger les droits constitutionnels des citoyen·ne·s. La tâche principale de la Cour suprême fédérale est d’assurer l’application uniforme du droit fédéral et de garantir le respect des limites du droit fédéral dans la législation, l’application du droit et la juridiction.

Le Tribunal administratif fédéral s’occupe principalement des décisions et des arrêts qui émanent de l’administration fédérale. Par conséquent, cette cour traite aussi en particulier des décisions dans le domaine du droit d’asile et du droit des étrangers. Elle juge également les recours contre certaines décisions des gouvernements cantonaux. Enfin, selon le domaine du droit, le Tribunal administratif fédéral agit en première instance, en tant qu’instance précédente du Tribunal fédéral ou en tant qu’instance de dernier recours.

Le Tribunal pénal fédéral statue en première instance et juge les affaires pénales qui relèvent de la compétence de la Confédération. Le Tribunal pénal fédéral assume une grande responsabilité en matière de protection des droits humains, notamment par sa compétence pour connaître des recours contre les actes de procédure du Ministère public de la Confédération et de la police et contre les décisions des tribunaux des mesures de contrainte.

C’est uniquement lorsque la procédure juridique nationale est terminée que les personnes concernées peuvent se tourner vers les acteurs internationaux pour faire respecter leurs droits fondamentaux. Les droits humains découlant de la CEDH et des traités des Nations Unies sont soumis au principe de subsidiarité. En conséquence, les États, en tant qu’acteurs principaux, doivent faire respecter leurs obligations en matière de droits humains de manière indépendante sur leur territoire. Avant qu’une action puisse être intentée devant la Cour européenne des droits de l’homme ou devant un comité d’un organe de traités de l’ONU, il faut que les appels auprès des instances nationales compétentes en Suisse par les victimes de violations des droits humains aient échoué.

Un exemple pratique d’application

L’application des droits humains en Suisse peut être illustrée par un exemple tiré du droit public.

Monsieur G. est journaliste et souhaite participer à un événement au Forum économique mondial (WEF) en 2001. Il travaille pour un portail d’information et cherche des renseignements pour un nouvel article. Alors qu’il se rend à Davos en bus, la police procède à un contrôle d’identité. Malgré la présentation de sa carte de presse, Monsieur G. se voit refuser l’entrée à Davos.

Le journaliste porte plainte auprès du Département cantonal de justice, de police et des services médicaux pour violation de sa liberté d’expression et d’information (art. 16 Cst. et art. 10 CEDH). Le Département de la justice ainsi que le gouvernement du canton des Grisons, en tant que deuxième instance cantonale, rejettent la plainte de Monsieur G. Les autorités justifient l’interdiction de se rendre à Davos par ladite clause générale de police. Celle-ci octroie la compétence à la police, même en l’absence de base légale formelle, de faire le nécessaire pour éviter un grave danger ou pour éliminer de graves perturbations. Le Tribunal fédéral a confirmé la décision en dernière instance: bien que la liberté d’expression de M. G. ait été violée par le comportement de la police qui a agi sans fondement juridique explicite, l’expulsion a été ordonnée en vertu de la clause générale de police et était proportionnée. Monsieur G. décide alors de porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.

Selon la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH), la restriction de la liberté d’expression nécessite une base légale. Le canton des Grisons aurait par ailleurs été en mesure de créer en temps utile une base légale expresse pour les restrictions d’accès. En raison des événements précédents, il était prévisible que des manifestations violentes pourraient avoir lieu lors du WEF 2001. L’invocation du droit d’urgence de la clause générale de police n’était donc pas admissible et la CrEDH a jugé que la Suisse devrait payer des dommages et intérêts à la personne concernée.

L’absence de juridiction constitutionnelle

Selon l’article 190 de la Constitution fédérale, le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international. Cependant, du point de vue des droits fondamentaux et des droits humains, la primauté des lois fédérales sur la Constitution est problématique. La conformité des lois fédérales avec les droits fondamentaux prévus par la Constitution ne peut en effet pas être vérifiée. Les lois fédérales doivent en premier lieu être interprétées conformément à la Constitution et au droit international. Néanmoins, si cela n’est pas possible, le Tribunal fédéral doit malgré tout appliquer les lois fédérales inconstitutionnelles.

Toutefois, en cas de conflit entre les lois fédérales et le droit international, le Tribunal fédéral considère que les dispositions du droit international relatives à la protection des droits humains priment en tous cas sur les lois fédérales. La jurisprudence «Schubert» affirme qu’une loi fédérale postérieure a la priorité sur les obligations plus anciennes de droit international si le législateur y déroge intentionnellement. Cependant, il existe une exception à la pratique «Schubert»: une loi fédérale postérieure ne saurait être appliquée si elle viole les droits humains internationaux liant la Suisse (par exemple, les droits prévus par la CEDH).

L’article 190 de la Constitution fédérale implique que les droits humains garantis par le droit international peuvent empêcher l’application des lois fédérales, ce qui n’est pas le cas des droits fondamentaux de la Constitution fédérale. Ainsi, si une disposition légale viole un droit fondamental constitutionnel qui n’est pas simultanément protégé par un traité international, la loi fédérale hostile aux droits fondamentaux est néanmoins applicable. Les droits ancrés dans la Constitution sont notamment l’interdiction de l’arbitraire, le principe général d’égalité, le droit à l’aide d’urgence ou la liberté économique. Les droits fondamentaux bénéficiant d’une meilleure légitimité démocratique sont donc moins bien protégés, contrairement aux libertés fondamentales de la CEDH.