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Interdiction de se dissimuler le visage

L'argumentaire

23.09.2019

L'initiative populaire «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage» a été déposée le 15 septembre 2017 par le Comité d’Egerkingen, à qui l'on doit déjà l'interdiction des minarets. L’initiative vise en particulier le fait de se couvrir le visage pour des motifs religieux et lors de manifestations. Dans cette perspective, humanrights.ch présente ici son argumentaire.

L'organisation met en avant les principaux arguments contre cette initiative anti-musulman·e·s – aussi appelée initiative contre la burqa – qui instrumentalise à la fois les femmes ainsi que la notion même du «vivre ensemble» et constitue une atteinte inadmissible au droit à la liberté religieuse, ainsi qu’à la liberté d’opinion et de réunion. Le contexte et les faits majeurs permettant de comprendre l'initiative sont par ailleurs détaillés dans une fiche «Essentiel en bref». Quant aux principaux événements et dates qui jalonnent son parcours jusqu'aux urnes, ils sont présentés dans un résumé chronologique régulièrement mis à jour.

NON à une initiative contraire à la liberté de conscience et de religion

En Suisse, la liberté de religion est protégée par l’article 15 de la Constitution fédérale et l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le port de vêtements particuliers fondé sur des motifs religieux, comme le voile ou la burqa, est protégé par la liberté de conscience et de croyance. Ce droit fondamental peut être restreint aux conditions prévues par la Constitution elle-même (art.36 Cst.), à savoir si la restriction est ancrée dans une base légale, si elle justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui et enfin si elle est proportionnée au but visé. Dans le cas de l’initiative du Comité d’Egerkingen, la première condition – celle de l’ancrage dans une base légale claire – serait remplie, mais pas celle de la justification par un intérêt public. Ceci dans la mesure où le nombre de femmes portant la burqa en Suisse est extrêmement faible d’une part et d’autre part du fait que ces femmes ne représentent pas de risque majeur pour l’ordre public. L’argument de la protection d’un droit fondamental d’autrui, ce que la France avait défendu avec succès devant la Cour européenne des droits de l’homme sous couvert du «vivre ensemble», n’est pas non plus recevable. Sa portée juridique ne saurait convaincre et est au contraire considérée comme dangereux du point de vue des droits humains.

Et si, comme c’est le cas en Russie, c’était en Suisse les comportements homosexuels qui gênaient la majorité, deviendrait-il alors légitime d’interdire l’homosexualité ? Comme l’ont également relevé les juges dissidents dans l’arrêts SAS contre France, il s’agit ici de sacrifier des droits individuels à des principes abstraits. Une pratique extrêmement dangereuse qui amènerait à une instrumentalisation des droits humains, utilisés par les majorités afin d’imposer ses normes aux minorités. Un constat partagé par le Comité des droits de l’homme de l’ONU, qui a estimé en 2018 que la loi française sur la burqa portait une atteinte disproportionnée à la liberté religieuse (art.18 Pacte II) et constituait en même temps une «une forme de discrimination croisée basée sur le sexe et la religion, en violation de l’article 26 du Pacte.»

NON à une initiative anti-musulman·e·s

De même, il s’agit bien avec l’initiative du Comité d’Egerkingen, d’une initiative visant la communauté musulmane de Suisse. Cette initiative qui ne dit pas son nom n’en est pas moins conduite par des motifs discriminatoires, puisqu’elle propose d’interdire un vêtement spécifique porté par les membres d’une minorité religieuse spécifique. La notion du vivre ensemble y est instrumentalisée afin de diaboliser toute une communauté et créer de toute pièce un fossé qui n’a pas lieu d’être dans un pays comme la Suisse, où les solutions portant à la paix sociale et à la paix religieuse se trouvent de façon pragmatique et au cas par cas. Un tel processus législatif contribue à consolider des stéréotypes affectant certaines catégories de personnes et encourage l’expression de l’intolérance de façon tout à fait incompatible avec les valeurs de tolérance, de paix sociale et de non-discrimination.

NON à une initiative qui menace la liberté d’opinion et de réunion

L’initiative du Comité d’Egerkingen aurait par ailleurs une incidence particulièrement négative sur le terrain de l’activisme politique. L’exemple tessinois, dont s’inspire largement le texte de l’initiative national, l’a bien montré. Tout comme l’initiative tessinoise sur l’interdiction de dissimuler son visage, le texte national ne prévoit pas d’exception pour les manifestations politiques. Or, le 20 septembre 2018, le Tribunal fédéral a prononcé la non-conformité de la Loi tessinoise sur la dissimulation du visage avec la Constitution fédérale. Sont concernées: la liberté d’opinion (art. 16 Cst.) et de réunion (art. 22 Cst.) ainsi que la liberté économique (art. 27 Cst.). Il est donc établi qu’une stricte interdiction de se couvrir le visage est qui plus est incompatible avec les libertés en question. Un constat qui confirme ce que soulevait déjà le Département fédéral de justice et police dans un rapport explicatif de juin 2018, à savoir que l’initiative nationale pose de graves problèmes en matière de proportionnalité.

NON à une initiative qui instrumentalise les femmes

Le Comité d’Egerkingen affirme s’en prendre à la burqa pour contester son fondement inégalitaire, partant du principe que le voile intégral est en soi discriminatoire et que les femmes qui le portent sont contraintes à le faire. Une posture douteuse si l’on considère que les membres du Comité ne sont pas réputés pour leur engagement en faveur de la lutte contre la discrimination et les violences faites aux femmes. Mais quand bien même. Une telle posture est à son tour une discrimination inacceptable à l’encontre de la communauté musulmane. Si certaines femmes peuvent être contraintes par des pressions familiales ou sociales à couvrir leur visage, le port du voile intégral peut aussi être un choix personnel chez d’autres femmes, voire une revendication. Il ne peut donc pas légitimement justifier de porter atteinte à leur liberté. Soutenir le contraire, comme le fait le comité d’Egerkingen, revient à faire preuve de paternalisme, réduisant la femme musulmane à une ombre silencieuse, un objet incapable de choix et non pas le sujet de droits qu’elle est, au même titre que toutes les femmes vivant en Suisse. Cette posture traduit en outre une tradition de réglementation autour du corps féminin qui porte tort à toutes les femmes.

Si le fait de contraindre une personne à se voiler le visage est d’ores et déjà réprimé pénalement à l'art. 181 du Code pénal, criminaliser les victimes, comme entend le faire l’initiative, ne peut que péjorer la situation et entraîner une plus grande vulnérabilité chez les personnes concernées, sans parler d’une majeure marginalisation. C’est ainsi que sous prétexte de «protéger» les femmes musulmanes, l’initiative «oui à l’interdiction de se dissimuler le visage dans l’espace public» instrumentalise la femme de façon inacceptable et dangereuse.