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Interdiction de se dissimuler le visage

L'essentiel en bref

23.09.2019

L'initiative populaire «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage» a été déposée le 15 septembre 2017 par le Comité d’Egerkingen, à qui l'on doit déjà l'interdiction des minarets. Elle vise en particulier le fait de se couvrir le visage pour des motifs religieux et lors de manifestations. En prévision, humanrights.ch résume sur une page le contexte politique dans lequel l’initiative s’inscrit, les principaux éléments qu’elle contient ainsi que les droits et libertés concernés.

Les principaux événements et dates concernant cette initiative – aussi appelée «initiative contre la burqa» – sont par ailleurs présentés dans un résumé chronologique. Quant à savoir pourquoi humanrights.ch s’oppose à cette interdiction qu’elle considère hautement problématique du point de vue des droits humains, une lecture attentive de l’argumentaire saura vous éclairer.

Climat favorable

Depuis plus de dix ans et suite à l’aboutissement de l’initiative contre la construction des minarets en 2009, l’opposition grandissante au port de la burqa dans l’espace public a gagné du terrain en Suisse. C’est ainsi que le 23 septembre 2013, le Tessin a été le premier canton suisse à interdire la dissimulation du visage dans l’espace public. Alors que dans la plupart des cantons une interdiction lors de manifestations publiques ou sportives a déjà été introduite, cette initiative lancée par l’UDC et l’UDF était considérée comme une loi contre le voile intégral islamique, et les Tessinois·e·s ont voté à 65.3% pour que cette interdiction figure dans leur constitution. Que ce soit par la voie populaire ou parlementaire, des objets similaires ont depuis été déposés dans plusieurs cantons. Le canton de St-Gall a été le deuxième à avoir adopté une interdiction de se dissimuler le visage dans l’espace public, pour autant que cela menace la sécurité. Un texte approuvé à plus de 60% des voix le 23 septembre 2018.

Ces deux bases légales au niveau cantonal reflètent l’accélération d’un débat qui a également occupé le Parlement. En effet, entre 2006 et 2013, une dizaine d’objets parlementaires ont été déposés en ce sens au niveau fédéral. Ils visaient à introduire ou à examiner la possibilité d’une interdiction nationale - soit de la dissimulation du visage de manière générale (2010, 2010, 2013, 2013), soit explicitement du voile intégral (2006 et 2009). Alors que le Conseil national a soutenu certains de ces objets parlementaires, le Conseil des Etats les a quant à lui systématiquement refusés. De son côté, le Conseil fédéral s’était toujours clairement exprimé contre une interdiction nationale de se dissimuler le visage. Dans un premier temps, sur motif que le nombre de personnes concernées est trop faible (entre 95 et 130 selon une estimation du CF en 2010) et dans un second temps, en mettant en évidence la compétence cantonale de gérer et de légiférer sur l’espace public. Le contre-projet indirect que le Conseil fédéral a décidé d'opposer à l'initiative vise ainsi à préserver les prérogatives cantonales. Il consiste en une «Loi fédérale sur la dissimulation du visage» qui n’interdit celle-ci qu’à des fins d’identification.

Que demande l’initiative?

Face à cette impasse parlementaire, le Comité d’Egerkingen se dit «convaincu qu'une interdiction nationale de se dissimuler le visage ne peut être obtenue que moyennant une initiative populaire». L’initiative populaire «Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage», validée par la Chancellerie fédérale le 11 octobre 2017, demande que la Constitution soit complétée par un nouvel article (10a) visant à interdire la dissimulation du visage dans l’espace public et dans les lieux accessibles au public (para 1). L’initiative prévoit aussi une interdiction de contraindre une personne à se dissimuler le visage en raison de son sexe (para 2). Enfin, des exceptions pourront être justifiées par des motifs de santé ou de sécurité, par des raisons climatiques ou par des coutumes locales (para 3). Par conséquent, les exceptions prévues sur la base de motifs religieux – hormis pour les «lieux de culte» – sont explicitement exclues. Walter Wobmann, co-fondateur et co-président du Comité d'initiative, le confirme sur son site web: l'initiative souhaite volontairement «appréhender le port du voile pour des motifs religieux». Sont à ce titre aussi bien concernés la burqa – un vêtement d’origine afghane couvrant l’entier du visage et muni d’un un petit grillage en tissu au niveau des yeux – que le niqab, qui couvre quant à lui l’entier du visage à l’exception des yeux.

Enfin, l’initiative vise également le port de cagoule, dans le cadre de manifestations notamment.

Influence européenne

La tendance qui prévaut en Suisse ne s’arrête pas aux frontières et se nourrit d’un certain climat européen. Avec le lancement de cette initiative, le Comité d’Egerkingen souhaite que la Suisse emboîte le pas à la France, qui a été le premier à adopter une interdiction globale de ce type en 2010, suivie depuis par plusieurs pays européens. Une législation qui a été jugée conforme à la Convention européenne des droits l’homme (CEDH) par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt de 2014. La Cour a estimé que l’interdiction est proportionnée au but poursuivi par le gouvernement français, à savoir la préservation du «vivre ensemble», tout en soulignant «qu’un État qui s’engage dans un processus législatif de ce type prend le risque de contribuer à la consolidation des stéréotypes qui affectent certaines catégories de personnes et d’encourager l’expression de l’intolérance alors qu’il se doit au contraire de promouvoir la tolérance». L’arrêt des juges de Strasbourg a été repris par le Comité d’Egerkingen afin de légitimer leur démarche du point de vue légal, et notamment vis-à-vis du droit international des droits humains.

Les ONG font campagne

Pourtant, les organisations des droits humains sont unanimes dans leur opposition à cette initiative. La section suisse d’Amnesty International, en 2015, affirmait déjà qu’aucune femme ne devrait être forcée à porter un foulard ou tout autre vêtement, mais également qu’aucun Etat ne devrait interdire le port d’un vêtement spécifique – les deux approches s’apparentant à une atteinte à la liberté individuelle. L’organisation Terre des Femmes, qui s’engage en faveur de l'égalité des sexes et combat les violences liées au genre, s’est également prononcée sans ambiguïté contre une interdiction de la burqa. Au sein des partis politiques cependant, cette volonté d’interdire le voile intégral rallie des personnes de tous bords, des nationalistes de droite aux fervent·e·s défenseur·euse·s de la laïcité et de l’égalité à gauche, comme dans le Parti Socialiste, ainsi que certaines féministes. Ceci s’explique par le fait qu’aussi bien les partisan·e·s que les opposant·e·s à l’initiative mettent en avant l’argument des droits humains.

Droits humains concernés

Des droits humains ou des principes (de l’égalité par exemple) tout aussi importants sont utilisés pour défendre chacune des positions. Les opposant·e·s à l'interdiction insistent particulièrement sur le droit à l’autodétermination des femmes musulmanes. En revanche, les partisan·e·s de l’interdiction perçoivent dans le voile intégral une aliénation de la femme musulmane et le tolérer serait une «adhésion à la discrimination» des genres.

L’initiative populaire «Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage» est susceptible de porter atteinte à plusieurs droits garantis par Constitution fédérale, la Convention européenne des droits de l’homme ou encore par le Pacte II relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il s’agit en particulier du droit au respect de la vie privée (art. 10 Cst., 8 CEDH et 17 du Pacte II), de la liberté religieuse (art. 15 Cst., 9 CEDH et 18 Pacte II), de la liberté d’expression (art. 16 Cst. et 10 CEDH), de la liberté de réunion (art. 22 Cst., 11 CEDH et 21 Pacte II) et de l’interdiction de discrimination (art. 8 Cst. et 14 CEDH).

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