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Institution nationale des droits humains

Les Institutions nationales des droits humains: un contrepoids à la dérive sécuritaire

20.02.2017

 

La lutte contre le terrorisme signifie-t-elle forcément moins de démocratie, moins de respect des droits de tout à chacun et plus de discrimination? L’on pourrait le croire au regard des politiques choisies et mises en œuvre un peu partout en Europe, y compris en Suisse. Pourtant ce n’est pas le cas, comme le relève dans un commentaire de décembre 2016 le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l'Europe Nils Muižnieks.

Plus encore, partout où il y en a, les Institutions nationales indépendantes des droits de l’homme (INDH) œuvrent sans relâche pour rétablir ce déséquilibre et rappeler aux Etats à la fois leurs obligations et les solutions qui existent pour lutter contre le terrorisme dans le respect des droits fondamentaux de tous les individus. Une preuve supplémentaire du rôle essentiel de ces institutions.

«Des mesures disproportionnées»

Dans un rapport de janvier 2017, Amnesty International dénonçait de nouvelles lois radicales antiterroristes qui sapent l’état de droit, restreignent la liberté d’expression et exposent les populations à la surveillance de masse en Europe. Ce rapport s'appuie sur plus de deux ans de recherches dans 14 États membres de l'Union européenne, de la France à l’Autriche en passant par le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Hongrie. Il révèle à quel point les nouvelles lois et politiques visant à contrer la menace terroriste ont miné la protection des droits. La Suisse n’est pas citée dans le rapport, mais connaît elle aussi, à son échelle, une dérive sécuritaire pour le moins inquiétante (voir notre article Lutte contre le terrorisme et droits humains en Suisse).

«Au lendemain d'une série d’attentats, de Paris à Berlin, les gouvernements ont adopté à la hâte une multitude de lois discriminatoires et disproportionnées», a déclaré John Dalhuisen, directeur du programme Europe d'Amnesty International. «Prises individuellement, ces mesures de lutte contre le terrorisme sont déjà suffisamment inquiétantes, mais lorsqu'elles sont étudiées dans leur ensemble, un tableau préoccupant se dessine, dans lequel des pouvoirs illimités bafouent des libertés considérées comme acquises depuis bien longtemps.»

Les INDH ont un rôle à jouer

La situation ne préoccupe pas qu’Amnesty international. De nombreux organes des droits humains tirent la sonnette d’alarme. C’est le cas notamment du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, qui évoque cette situation dans un commentaire de décembre 2016, mais plutôt pour montrer et insister sur l'un des contrepouvoirs à l'œuvre: les Institutions nationales indépendantes des droits humains (INDH).

«Dans ce contexte, martèle Nils Muižnieks, les structures nationales des droits de l’homme (SNDH) ont un rôle crucial à jouer. En raison de leur nature, de leurs compétences et de leur expérience, ainsi que du respect et de la confiance qu’elles inspirent, ces structures constituent l’interface entre les autorités nationales et les citoyens et sont capables de les aider à garder la tête froide et à lutter efficacement contre le terrorisme sans céder à la peur ni bafouer les droits de l’homme.»

Une institution, plusieurs facettes

Ces institutions, au nombre de 22 en Europe, ont des rôles variés qui sont tous pertinents dans le contexte difficile actuel. Elles sensibilisent notamment le grand public à l'idée que, en matière de lutte contre le terrorisme, les droits humains sont partie de la solution et non pas du problème. Elles forment aussi des jeunes aux droits humains dans le cadre de la prévention des extrémismes violents et de l’éducation aux droits humains. Un mandat d’autant plus important que c’est justement dans cette tranche d’âge que se recrutent les aspirant-e-s djihadistes.

En outre, les INDH ont pour certaines un rôle consultatif. En amont de l’adoption de nouvelles lois ou mesures d’antiterrorisme, elles ont la possibilité de soumettre des analyses d’impact des nouvelles mesures sur les droits humains. Comme le souligne Nils Muižnieks, l’Institution française de promotion et de protection des droits de l’homme en France a très bien joué cette carte dans le cadre de l’adoption de la loi de lutte contre le crime organisé et le terrorisme. Les INDH autrichienne, hollandaise et danoise ont eu des rôles similaires dans leurs pays, avec un certain succès d’après le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. L’enjeu réside souvent sur l’emploi d’une définition bien trop vague de ce que recoupe le mot terrorisme, de ce que sont concrètement les délits imputables, sans oublier le manque de garde-fous, en matière de recours effectif notamment.

Certaines INDH, notamment les offices de médiation, ont en outre la compétence de traiter des cas individuels. C’est, là aussi, notamment le cas de la France, où le «Défenseur des droits» a reçu pas moins de 80 plaintes individuelles en rapport avec l’état d’urgence depuis l’adoption de celui-ci en 2015 (voir notre article sur l’état d’urgence en France).

Améliorations nécessaires

Mais il reste de la place pour de nombreuses améliorations. Ainsi que le souligne le commissaire aux droits de l’homme, les différences de contexte, d’exposition à la menace terroriste, de mandat et de ressources créent de grande disparité dans ce que peuvent entreprendre les INDH de différents pays. Le Commissaire en appelle ainsi aux Etats en leur demandant d’élargir, si nécessaire, le mandat des INDH afin de leur permettre de mener à bien le type d’activités évoqué. Il leur demande également d’allouer des moyens financiers et des ressources humaines en suffisance et de respecter pleinement l’indépendance de ces structures.

A quand une INDH en Suisse?

Que dire alors de la Suisse, qui ne dispose pas à ce jour d’une Institution nationale indépendante des droits humains conforme aux Principes de Paris (voir notre article sur le sujet)? Pourtant, le pays n’est pas épargné par la tendance globale. Répression et prévention s’y mélangent toujours plus et la surveillance de masse a fait son chemin dans le droit (voir notre article sur le sujet).  Dans un contexte où, comme ailleurs en Europe, les mesures administratives de lutte contre le terrorisme sont toujours plus nombreuses et tendent à court-circuiter le judiciaire, il est primordial que la Suisse, comme les autres Etats, puisse finalement bénéficier des compétences d’un garde-fou telle qu’une INDH.

Le 29 juin 2016, le Conseil fédéral a pris une décision de principe pour la création d’une Institution nationale des droits humains. Il a chargé le Département fédéral des affaires étrangères ainsi que le Département fédéral de justice et police d’élaborer un projet destiné à la consultation jusqu’en juin 2017. Mais c’est au Parlement que reviendra le dernier mot. Reste à espérer que celui-ci voie l’évidence de ce que peut et doit apporter une INDH en Suisse.

Sources