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L'essentiel en bref

31.01.2023

En vigueur depuis quelques années à peine, la Loi fédérale sur le renseignement (LRens) est en passe d’être révisée. Le DDPS justifie cette révision par la nécessité d’étendre et de concrétiser le mandat du SRC. Aux yeux de la société civile, cette révision porte toutefois atteinte aux droits fondamentaux et aux droits humains.

humanrights.ch présente brièvement les informations principales en lien avec la révision de la loi sur le renseignement. Un aperçu chronologique propose de revenir sur les étapes les plus importantes de cette révision. Un argumentaire du point de vue des droits de humains s'oppose à ce projet.

Contexte

La Loi fédérale sur le renseignement constitue la base légale des activités du Service de renseignement de la Confédération (SRC). Entrée en vigueur le 1er septembre 2017, elle a remplacé deux bases légales: la loi fédérale instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (LMSI) et la loi fédérale sur le renseignement civil (LFRC). La LRens a pour objectif de déceler à temps et de prévenir les différentes menaces contre la sûreté intérieure et extérieure telles que le terrorisme, l'espionnage, les armes de destruction massive, les attaques visant les infrastructures ainsi que l'extrémisme violent (art. 6 LRens).

Les compétences de l’organe de protection de l'État en matière de surveillance ont été fortement étendues par la nouvelle loi, portant aujourd’hui encore gravement atteinte aux droits fondamentaux de la population suisse. La surveillance de masse non fondée sur des soupçons au moyen de l’exploration du réseau câblé, l'utilisation de chevaux de Troie par l’État, l'échange incontrôlé des données avec des services de renseignement étrangers, le stockage des données pourtant interdit dans l'Union européenne, l’absence de frontière claire entre service de renseignement et autorité de poursuite pénale ainsi que l'absence de surveillance indépendante du Service de renseignement représentent un danger particulier pour les droits humains.

Les récentes critiques émises à l’encontre du SRC ont non seulement porté sur son cadre légal lacunaire, mais également sur sa pratique. Dans son rapport annuel 2019, la Délégation des Commissions de gestion des Chambres fédérales a conclu que le traitement des données du SRC ainsi que la pratique de ce dernier concernant le droit d’accès aux données présentent de graves dysfonctionnements. Selon les médias, le Service de renseignement aurait également collecté en masse des données de partis politiques, d'organisations de la société civile et de politicien·ne·x·s. Un avis de droit relatif aux fiches ouvertes sur l’organisation de défense des droits humains Public Eye dresse un bilan inquiétant: si l'association aurait dû être protégée du fichage de ses activités par le SRC en vertu des droits fondamentaux et du cadre légal, le SRC a récolté et traité ces données, outrepassant les restrictions imposées par la Constitution, la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et la Loi sur le renseignement. Plusieurs révélations ont eu lieu au début de l’année 2022: le Service de renseignement a utilisé des systèmes de reconnaissance faciale illégaux, le domaine Cyber a mené des écoutes téléphoniques sans disposer d’une autorisation du Tribunal administratif fédéral, et l’ancien directeur du SRC a fait appel à un conseiller politique secret.

Révision de la LRens

En février 2019, soit une année seulement après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur le renseignement, le Conseil fédéral a chargé le DDPS d’établir un projet de révision de la loi à envoyer en consultation. En été 2020, le Conseil fédéral a décidé de prolonger ce mandat jusqu’à la fin 2021 et a par ailleurs chargé le DDPS de procéder à une nouvelle conception de la réglementation des systèmes d’information ainsi que du droit d’accès en matière de protection des données. Le 18 mai 2022, le Conseil fédéral a finalement lancé la procédure de consultation pour le projet de loi (nLRens), qui a pris fin le 9 septembre 2022.

Le Conseil fédéral affirme que la révision vise à tenir compte non seulement des questions issues des débats parlementaires, mais aussi de l’évolution récente des menaces et de la mise en œuvre des recommandations de la Délégation des Commissions de gestion des Chambres fédérales. Le DDPS explique que cette révision portera sur l’élargissement des mesures de recherche soumises à autorisation dans le domaine de l’extrémisme violent, la réorganisation complète du stockage des données du SRC ainsi que le transfert des tâches de l’organe de contrôle indépendant pour l’exploration radio et l’exploration du réseau câblé (OCI) à l’Autorité de surveillance des activités de renseignement (AS-Rens). Trois autres nouveautés sont également prévues dans le cadre de la révision: la création d'une mesure de recherche soumise à autorisation visant à obtenir des informations sur les transactions financières en cas de graves menaces à la sécurité de la Suisse, des propositions pour améliorer la mise en œuvre de la LRens et enfin des adaptations linguistiques visant à rendre homogènes la terminologie dans les trois langues officielles.

Critiques de la société civile

La révision de la LRens inquiète fortement les organisations de défense des droits humains. Le projet de loi étend le mandat déjà peu clair du Service de renseignement et légitime le traitement fautif des données ayant eu lieu. La collecte et le stockage porteront désormais sur un plus grand nombre de données. Les restrictions clairement formulées jusque-là, interdisant la surveillance des activités politiques et de l'exercice de la liberté d'opinion, de réunion ou d'association, seront assouplies par un régime d’exceptions (art. 5 al. 5 à 8 et art. 6 nLRens).

De plus, selon la nouvelle loi, le Service de renseignement devrait disposer de méthodes de surveillance étendues et soumises à des conditions moins strictes. Les services secrets devraient notamment pouvoir ordonner eux-mêmes des condamnations pénales, infiltrer les systèmes informatiques sans l'autorisation du Conseil fédéral (art. 37 nLRens), observer au moyen d'appareils de localisation sans autorisation judiciaire (art. 14 nLRens), accéder à des données à l'étranger au moyen de l’exploration du réseau câblé (art. 39 nLRens), voire ordonner des mesures particulièrement graves, telle que des écoutes téléphoniques, sur mandat d'États étrangers, à l’encontre de personnes ou d’organisations au service du SRC (art. 27 al. 1 let. a ch. 2 nLRens).

Le projet de loi prévoit enfin d’élargir les catégories de personnes pouvant faire l’objet d’une surveillance par le SRC. Ainsi, les mesures de recherche soumises à autorisation (art. 26 LRens – surveillance des correspondances par poste et des communications téléphoniques, infiltrations dans les systèmes informatiques, etc.) devraient également pouvoir être ordonnées à l'encontre des ecclésiastiques, des avocat·e·x·s, du personnel médical et des professionnel·le·x·s des médias (art. 28 al. 2 nLRens), soit les personnes soumises au secret professionnel, à la protection des sources et autres devoirs de discrétion. En outre, les mesures de recherche soumises à autorisation sont étendues à «l'extrémisme violent». Cette notion ne disposant pas d’une définition juridiquement contraignante, elle est insuffisante pour constituer une base légale en cas d'atteinte aux droits fondamentaux. Son interprétation par le Service de renseignement pourrait en effet être imprévisible et arbitraire. Enfin, le projet de loi prévoit l’extension de l'interdiction de se rendre dans un pays donné (art. 24h et 24k nLMSI), la possibilité d'enquêter sur les relations entre une personne physique ou morale et des intermédiaires financiers ou des négociants (art. 26 al. 1 let. f et g nLRens) ainsi que l'utilisation de telles mesures de surveillance contre des personnes et des organisations politiques.

En raison des nouvelles compétences très étendues en matière de surveillance accordées au SRC dans le projet de loi, de nombreuses organisations de la société civile ont pris part à la procédure de consultation. Une coalition d'organisations non gouvernementales suisses a par ailleurs publié une prise de position demandant, d’une part, de renoncer à de nouveaux durcissements de la loi sur le renseignement, et d’autre part à ce que les activités menées par le SRC depuis 2017 fassent l’objet d’une enquête approfondie.