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Initiative pour des multinationales responsables

Le devoir de diligence pour les entreprises: comment ça fonctionne ailleurs?

03.10.2018

En Suisse, il n'existe actuellement aucune obligation de diligence raisonnable en matière de droits humains pour les entreprises. C’est justement pour remédier à cette lacune que l'initiative pour des multinationales responsables souhaite introduire un cadre légal contraignant. Elle demande ainsi que l’obligation de diligence soit intégrée de la façon suivante:

Les entreprises sont tenues «d’examiner quelles sont les répercussions effectives et potentielles sur les droits de l’homme internationalement reconnus et sur l’environnement, prendre des mesures appropriées en vue de prévenir toute violation des droits de l’homme internationalement reconnus et des normes environnementales internationales, mettre fin aux violations existantes et rendre compte des mesures prises».

À ce sujet, les opposants à l’initiative ont avancé à plusieurs reprises que faire cavalier seul dans le domaine de la diligence en matière de droits humains désavantagera la Suisse sur le plan économique. Pourtant, un aperçu comparatif au-delà des frontières permet de réfuter cet argument, voire même de le tourner à l’avantage des partisans de l’initiative.

Recommandation ONU

Le 23 juin 2017, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU (Pacte I) a recommandé aux Etats membres du Pacte I, y compris la Suisse, d’établir une obligation légale de diligence raisonnable pour les entreprises. L'Observation générale n°24 du Comité reflète l'acceptation internationale croissante du rôle joué par les multinationales dans le domaine de la diligence en matière de droits humains. Bien que les observations générales ne soient pas contraignantes sur le plan juridique, elles jouissent d'un haut niveau d'autorité. Sans surprise, la Suisse s’était d’ailleurs exprimée contre ces exigences lors de la phase de consultation de l’observation.

En outre, et contrairement aux affirmations des opposants à l’initiative, un devoir de diligence pour les entreprises est déjà contraignant dans plusieurs pays et en phase d’élaboration dans d’autres.

L’UE donne le ton

À l’échelle communautaire, déjà trois règlements et directives en vigueur comportent partiellement un devoir de diligence en matière de droits humains.

C’est le cas du règlement européen 2017/821 introduit pour définir les devoirs de diligence dans la chaîne d’approvisionnement des importateurs européens d’étain, de tantale, de tungstène et d’or provenant de zones de conflit ou de zones à haut-risque. L’objectif est en fait de déterminer les risques réels et potentiels des conflits liés aux minerais dits «Minerais de conflit». Il s’agit de garantir que leur importation ne porte pas atteinte aux droits humains et ne finance pas de conflits armés à travers le monde. Ce règlement entrera en vigueur le 1er janvier 2021.
De son côté, la Directive 2014/95 relative à la publication d’informations extra-financières, oblige les multinationales à rendre compte de leurs principaux impacts et risques en matière de droits humains et concernant les aspects environnementaux, les questions sociales et de personnel, ainsi que la lutte contre la corruption, y compris les processus mis en œuvre pour répondre à ces risques et impacts. Si les entreprises concernées ne respectent pas leurs obligations, elles sont susceptibles de se voir infliger une amende suivant les modalités définies dans chaque Etat membre.

Nos voisins ces pionniers

La France a de son côté promulgué en 2017 une loi relative au devoir de diligence des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre. C’est en fait un exemple concret de ce qu’il est possible d’entreprendre pour obliger les multinationales à respecter les droits humains et l’environnement. (Voir notre article sur le sujet).

En février 2017, le parlement néerlandais a adopté un Projet de loi sur la «diligence raisonnable et le travail des enfants». La loi oblige les entreprises à déterminer si le travail des enfants est présent dans leurs chaînes d’approvisionnement et, si tel est le cas, à élaborer un plan d’action afin d’y remédier. Si le Sénat néerlandais donne son aval, la loi devrait entrée en vigueur en 2020.

Enfin, depuis 2015, une loi sur l’esclavage moderne est en vigueur en Grande-Bretagne.  L'article 54 de cette loi oblige les multinationales à rendre compte annuellement des mesures qu’elles prennent pour prévenir l’esclavage ou le trafic d’êtres humains dans leurs chaînes d’approvisionnement. La particularité est que si les entreprises concernées sont soumises à la publication d’un rapport sur les mesures qu'elles ont prises à cet effet, il n'est en revanche pas précisé quelles mesures concrètes elles doivent prendre. En outre, les entreprises peuvent également publier un rapport et déclarer qu'elles n'ont prises aucune mesure.

Aux Etats-Unis: le Dodd Franck Act  

Aux États-Unis, la section 1502 du Dodd Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act 2010 (Dodd-Frank Act) impose aux entreprises de soumettre leur chaîne d’approvisionnement à une diligence raisonnable quant aux minerais de conflit extrait en République démocratique du Congo (RDC). Concrètement, la section 1502 vise à empêcher l’armée nationale et les groupes rebelles en RDC de se servir en toute illégalité des bénéfices qu’ils dégagent du commerce de minerais pour financer leurs combats. Les entreprises doivent donc mener un processus de diligence raisonnable et déterminer si leurs produits contiennent des minerais de conflit pour en faire rapport aux autorités américaines.

Conclusion: évolutions législatives encourageantes - mises en œuvre peu claires

Cet aperçu des développements législatifs récents montre que le mouvement dans le monde pour introduire une obligation de diligence en matière de droits humains suit son cours. Il convient néanmoins de noter qu'une telle obligation est loin d'être universelle.

En outre, les règlements existants semblent être encore limités et incomplets. Dans la majorité, ils ne concernent qu’un secteur industriel, ou un seul domaine de droits humains, comme c’est le cas aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, ou même une seule région spécifique. Autre limite: si ces réglementations prévoient bien une obligation de faire rapport, elles n’imposent pas de mise en œuvre concrète via des mesures contraignantes.

La loi française sur le devoir de diligence en matière de droits humains offre pour l’instant le cadre de référence le plus complet en la matière. Elle s'applique à toutes les entreprises au-delà d'une certaine taille et ne se limite ni à une industrie ni à une région spécifique. Reste à savoir comment la loi sera mise en œuvre et dans quelle mesure elle est susceptible d’envoyer un signal à l’intention des autres pays afin de les influencer dans leurs règlementations.

Quid de la Suisse?

L’initiative pour des multinationales responsables et l'obligation de diligence raisonnable en matière de droits humains qu'elle s'efforce d'imposer s’intègrent totalement dans les développements législatifs internationaux actuels. L’initiative offre de plus à la Suisse la possibilité d'être à l'avant-garde d'une tendance internationale. La Confédération, par sa contribution aux développements législatifs internationaux, a l’occasion d’apporter sa pierre à l’édifice. Contribution qui profite en fin de compte aussi bien aux victimes de violations des droits humains qu’à la bonne réputation de l'économie suisse.

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