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Comparaison des plans d'action nationaux suisse et allemand

23.11.2017

La Suisse et l'Allemagne ont chacun publié en décembre 2016 leur Plan d’action national pour les entreprises et les droits de l’homme. Chaque Plan d'action national (PAN) se fonde sur les principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Dans cet article, nous nous proposons de comparer les deux PAN de ces Etats voisins.

Le PAN de la Suisse a été adopté le 9 décembre 2016 et fait suite au postulat 12.3503 de 2012 d'Alec von Graffenried, ancien président du Conseil national et actuel maire de la ville de Berne, qui avait exigé son élaboration en l'espace de deux ans. Des ONG ainsi que d'autres groupes d'intérêt ont été consultés de façon intermittente lors de la phase de préparation du PAN, ce qui a entraîné son remaniement complet.

L'Allemagne a présenté son PAN le 21 décembre 2016. Celui-ci a été élaboré en l'espace de deux ans dans le cadre d'un processus impliquant de nombreuses parties prenantes. Plusieurs ministres, organisations économiques, regroupements d'ONG ainsi que la population et diverses autres parties intéressées ont été consultés.

La Suisse ne se penche pas sur ses lacunes

Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a publié des directives pour l'élaboration d'un PAN. Celles-ci indiquent que les entreprises et les Etats doivent identifier les lacunes dans la mise en œuvre des principes directeurs de l'ONU. La Suisse a pourtant renoncé à effectuer une analyse sérieuse des lacunes lors de préparation de son PAN. Ce dernier présente principalement des instruments préexistants. Une omission qui implique que le PAN suisse ne couvre pas toutes les problématiques existantes.

Le PAN de la République fédérale d'Allemagne repose à cet égard sur des fondations plus solides. L'Allemagne a en effet conduit une étude de base nationale en tant que fondement du PAN. Celui-ci présente, dans un premier temps, les règlements, processus et lois préexistants. Il fait ensuite mention des potentielles lacunes lors de leur mise en œuvre. Des questions au sujet de la manière dont il faudrait procéder pour combler ces lacunes ont aussi été posées au gouvernement allemand. Ceci constitue une différence importante par rapport au PAN suisse.

Pas de mesures contraignantes

Les principes directeurs de l'ONU signifient que les Etats doivent favoriser le développement de dispositions légales contraignantes imposant le respect des droits humains aux entreprises économiques. Il apparaît pourtant déjà dans l'introduction du PAN suisse que ce dernier ne crée pas de nouvelle mesure juridiquement contraignante. Ceci peut s'expliquer par le fait que de telles mesures ne peuvent pas être conçues par le biais d'un tel plan d'action. Il manque néanmoins une déclaration d'intention dans le rapport.

Le Conseil fédéral favorise essentiellement le principe du volontariat. Les entreprises sont ainsi tenues, par des mesures volontaires, de se soucier de l'impact de leurs activités économiques sur les droits humains. Le PAN omet pourtant de prouver l'efficacité du principe de volontariat. Le Conseil national va ainsi à l'encontre du concept de Smart-Mix, qu'il a lui-même nommé comme concept de base. Le Smart-Mix promeut un mélange savant de mesures volontaires et juridiquement contraignantes pour la mise en œuvre des principes directeurs des Nations Unies.

Le PAN de la République fédérale d'Allemagne est également tout sauf ambitieux en ce qui concerne les mesures contraignantes. L'Allemagne va néanmoins plus loin que la Suisse par rapport aux importantes vérifications préalables dans le domaine des droits humains. L'Allemagne s'est ainsi fixé l'objectif d'intégrer un examen préalable de l'impact sur les droits humains pour la moitié de toutes les grandes entreprises sur son territoire jusqu'en 2020. Le gouvernement allemand contemplera d'autres mesures, y compris des mesures juridiques, dans le cas où cet objectif ne serait pas réalisé.

De son côté, le Conseil fédéral suisse indique seulement dans son PAN qu'il soutient un examen préalable volontaire, faute de quoi il lui faudra largement s'appuyer sur d'éventuelles règlementations au niveau international.

Action en justice quasi impossible

L'accès à la réparation pour les victimes de violations des droits humains demeure un casse-tête dans le domaine de l'économie et des droits humains. Dans son PAN, le Conseil fédéral reconnaît de façon générale «sa responsabilité d’assurer aux personnes concernées un accès à des mécanismes de recours suisses lorsque des entreprises domiciliées en Suisse sont impliquées dans des violations des droits de l’homme à l’étranger et que les victimes dans le pays d’accueil n’ont pas accès à des voies de recours efficaces.» (p. 38). Dans sa mise en oeuvre, le PAN suisse se limite pourtant à faire référence à des instruments déjà existants, en particulier en ce qui concerne l'actuelle clarification au sujet de l'accès aux tribunaux suisses pour les victimes d'atteintes aux droits humains étrangères (Postulat 12.2042 Accès à la réparation de la Commission de politique extérieure du Conseil des Etats).

Le PAN allemand ressemble largement au PAN suisse sur ce point. L'Allemagne évalue l'accès aux tribunaux allemands pour les victimes de violations des droits humains à l'étranger comme bon. C’est pourtant peu réaliste, tant pour l'Allemagne que pour la Suisse. Les victimes n'ont en effet que rarement la possibilité et les moyens de saisir un tribunal allemand ou suisse pour se plaindre des violations des droits humains qu'elles ont subies.

Applicabilité pratique pour les entreprises

Le processus de consultation a montré, autant pour la Suisse que l'Allemagne, que les entreprises demandent des directives concrètes leur indiquant comment elles doivent mettre en oeuvre les principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Tant le PAN de la Suisse que celui de l'Allemagne se cantonnent à nommer une série de mesures qui existent déjà en grande partie. Il s'agit entre autres de séances d'informations, de formations et de conseils pour les entreprises ainsi que l'élaboration de lignes directrices sectorielles. Cette approche est certes à saluer. Pourtant, ces mesures ne vont pas assez loin, étant donné que les deux pays se basent avant tout sur le volontariat des entreprises pour la mise en oeuvre des principes directeurs de l'ONU. Des programmes plus complets permettant aux entreprises de mettre en oeuvre les principes directeurs facilement seraient nécessaires.

Révisions à venir

La première publication du PAN en Suisse et en Allemagne a mis en route un processus qui va se dérouler sur le long terme. Les PAN vont être révisés périodiquement; en Suisse, la première révision aura lieu en 2019. Les deux Etats ont ainsi l'occasion et le devoir de reconnaître et de corriger les lacunes des plans actuels. Il s'agit d'une possibilité à exploiter.

Manque global d’auto-critique

Lorsqu'on observe les PAN de la Suisse et de l'Allemagne, on se rend compte qu'ils manquent d'auto-critique. On pourrait avoir l'impression, lors de la lecture des deux PAN, que la mise en oeuvre des principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme a dans une large mesure déjà été effectuée. Cela n'est pourtant pas le cas. En tant que pays industrialisés possédant de nombreuses entreprises internationales florissantes, les deux Etats voisins se doivent en effet de poser des exigences plus élevées.

L'Allemagne, membre du G7, avait promis un PAN «ambitieux»; elle entendait rester à l'avant-garde du respect de standards concernant l'environnement, le social et les droits humains. L’idée était bonne, bien qu’au final le PAN de la République fédérale d'Allemagne est à ce jour très modeste. La Suisse et l'Allemagne doivent être à l'avant-garde de la fixation de standards relatifs aux droits humains pour les entreprises et cela devrait se révéler lors de la révision de leurs PAN.

Sources