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Antisémitisme et discrimination envers les personnes de confession juive 

07.12.2023

En Suisse, les personnes de confession juive ou étant perçues comme telles sont confrontées à diverses formes de discrimination et se heurtent à des réactions hostiles. L’antisémitisme, phénomène qui a traversé l’histoire de la Suisse, reste une réalité contemporaine.

Le terme «antisémitisme» connaît un grand nombre de définitions. En principe, il décrit une posture ou une attitude de rejet envers les personnes qui se définissent comme juives ou sont perçues comme telles.

L’antisémitisme en Suisse: un phénomène qui n’est pas nouveau

Au 13e siècle déjà, l’antijudaïsme basé sur des motifs religieux était répandu en Suisse, les personnes de confession juive étant tenues pour responsables du meurtre de Jésus par l’Église chrétienne (idéologie de l’antisémitisme religieux). Dans le monde chrétien de la Suisse médiévale, les personnes de confession juive étaient soumises à un droit d’exception discriminatoire, devaient payer des impôts spéciaux et l’exercice de certaines professions leur était interdit. L’interdiction de faire partie de corporations ou de posséder des terres les empêchaient d’exercer des professions artisanales ou agricoles – il ne restait ainsi plus que le colportage, le commerce et les affaires financières. Ces restrictions et expliquent encore à l’heure actuelle les préjugés antisémites présentant les personnes de confession juive comme cupides, affairistes ou avares (idéologie de l’antisémitisme social). Les années 1348 à 1349 sont marquées par des persécutions et des incinérations de personnes juives, jugées responsables de la peste et, plus tard, de meurtres rituels. En 1491, les personnes de confession juive sont même complètement expulsées de l’ancienne Confédération.

À partir du 17e siècle, les personnes de confession juive sont de nouveau autorisées à s’installer en Suisse, toutefois uniquement dans les deux villages de Lengnau et Endingen dans le canton d’Argovie. Là encore, elles sont la cible de discriminations vis-à-vis de la population chrétienne. La possession de terres et les professions artisanales demeuraient formellement interdites pour elles. Ce n’est qu’après un mouvement de pression internationale que la population juive de Suisse a pu obtenir la liberté d’établissement en 1866 et le droit de pratiquer sa foi en tout lieu grâce à la liberté de culte en 1874.

Les courants antisémites reprennent de l’ampleur à partir de 1873 en raison de la crise économique. En 1893, la première initiative populaire suisse a pour thème l’interdiction de l’abattage rituel. Prescrit par le judaïsme, l’abattage rituel est la mise à mort d’animaux sans étourdissement préalable, condition qui a créé un conflit entre la loi sur la protection des animaux et la liberté de religion. Cependant, lors de la campagne en vue de la votation, les arguments antisémites ont clairement été mis au premier plan. L’initiative a été approuvée avec 60 % de voix favorables. En guise de compromis, la loi sur la protection des animaux permet aujourd’hui les importations de viande casher et halal.

Sur le plan idéologique, l’antijudaïsme religieux a évolué au 19e siècle vers une forme d’antisémitisme nationaliste et raciste. Les anciennes allégations religieuses et sociales, telles que les meurtres rituels ou la cupidité, furent remplacées par de nouvelles accusations selon lesquelles les personnes de confession juive étaient «ennemies du peuple». Dans le même temps, les personnes de confession juive étaient racisées et dénigrées (idéologie de l’antisémitisme raciste). Ces idéologies ont finalement abouti au génocide nazi de près de six millions de personnes de confession juive, la Shoah. Au cours de cette période, la Suisse a mené une politique d’asile caractérisée par l’antisémitisme, refusant d’accueillir de nombreuses personnes de confession juive en fuite.

Les comportements antisémites n’ont pas disparu pour autant après la Seconde Guerre mondiale. Les théories du complot antisémites ont persisté au fil des siècles et se sont récemment multipliées lors de la pandémie de Covid-19. L’idée d’une «conspiration juive mondiale» avec pour objectif la «domination du monde» (idéologie de l’antisémitisme politique) en constitue le fondement. La création de l’État d’Israël en 1948 s’est également accompagnée d’un débat controversé sur l’antisémitisme lié à Israël.

Comment définir l’antisémitisme?

Il n’existe pas de définition juridiquement valide et universelle de l’antisémitisme. Le choix de définitions non juridiquement contraignantes est vaste et les débats à leur sujet sont souvent très chargés à la fois sur le plan politique et émotionnel.

Définition de travail de l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA) et les critiques à son sujet

Adoptée en 2016, la définition opérationnelle de l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA) est très largement utilisée. Elle a été approuvée par 38 États et différentes organisations afin d’uniformiser les démarches juridiques et le recensement des actes antisémites. Depuis 2004, la Suisse fait également partie de l’IHRA et a participé à la rédaction et à l’adoption de la définition de travail de l’IHRA, sans pour autant la reconnaître officiellement. En 2021, le Conseil fédéral a recommandé dans un rapport la définition opérationnelle en tant que «guide supplémentaire» pour identifier les actes antisémites. La Fédération suisse des communautés israélites FSCI et la Fondation contre le racisme et l’antisémitisme GRA utilisent la définition opérationnelle de l’IHRA dans le cadre de leur rapport annuel sur l’antisémitisme. La FSCI tout particulièrement se dit favorable à leur reconnaissance officielle par la Suisse.

Dans le texte, la définition opérationnelle de l’IHRA présente l’antisémitisme comme «une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte.» Des exemples illustrent cette définition.

Les exemples de la définition opérationnelle de l’IHRA sont toutefois en partie controversés, puisque sept des onze exemples se réfèrent à l’État d’Israël. Selon le rapport du Conseil fédéral de 2021, qui repose sur une analyse juridique de la définition de travail de l’IHRA, «l’application hors contexte de ces exemples peut être dévoyée en vue de brouiller les frontières entre déclarations et actes politiques légitimes relatifs au sionisme, à l’État d’Israël et à la Palestine, et ainsi saper la légitimité de toute critique en la qualifiant d’antisémite. Ce procédé peut, au bout du compte, provoquer des irritations et des controverses, mais également déboucher sur une vraie censure.» C’est sur la base de telles critiques qu’est née la Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme en 2021 comme alternative à la définition de l’IHRA. Cette définition a également généré un débat enflammé, montrant ainsi l’ampleur de la charge politique des discussions autour d’une définition universellement reconnue de l’antisémitisme et sur les limites entre un discours politique objectif et l’antisémitisme en ce qui concerne le sionisme, Israël et la Palestine.

Définition du Service de lutte contre le racisme

Selon le rapport du Conseil fédéral de 2021, le Service de lutte contre le racisme de la Confédération (SLR) «donne une définition plus large qui correspond à la réalité suisse [qui] précise, concrétise et étend la définition opérationnelle de l’IHRA. La Commission fédérale contre le racisme (CFR) et le réseau de consultation pour les victimes de racisme ont également recours à cette définition. Le SLR désigne l’antisémitisme comme un phénomène spécifique parmi les actes de racisme, comme un terme générique pour toutes les formes d’attitudes et d’opinions anti-juives. En raison de leur appartenance religieuse (caractéristique propre à l’hostilité à l’égard des Juif·ve·x·s, à l’antijudaïsme), les personnes de confession juive sont souvent perçues comme appartenant à un collectif construit ou réel (auquel se rattache l’antisémitisme). L’antisémitisme se manifeste par des convictions, préjugés ou stéréotypes hostiles qui désignent les institutions et les personnes de confession juive comme fondamentalement «différentes», sous forme d’insultes, de dénigrements, d’exclusions et de désavantages. Les perceptions négatives comprennent souvent des théories du complot historiques ou émergentes. L’antisémitisme se manifeste à travers des «crimes de haine» et des «discours de haine», par des formes de discrimination directe, indirecte et structurelle, ainsi que par la contestation, la banalisation et les tentatives de justification de la Shoah.

Cas recensés d’antisémitisme en Suisse

Quand bien même l’antisémitisme violent, à savoir des attaques et attentats, reste rare en Suisse, les personnes de confession juive se sentent menacées sur ce territoire. Le Service de renseignement de la Confédération (SRC) considère lui aussi que les communautés juives de Suisse requièrent une protection particulière.

L’antisémitisme ne commence pas seulement là où sont commis des actes violents ou là où sont tenus des propos discriminatoires. Le plus souvent, les opinions antisémites existent déjà inconsciemment et se manifestent par des jugements stéréotypés et des préjugés diffus. Ces conceptions inconscientes génèrent un climat social dans lequel des plaisanteries et allusions favorisent progressivement les attitudes antisémites, qui peuvent ensuite donner lieu à des actes antisémites. Ces attitudes sous-jacentes ressortent de l’enquête sur le vivre-ensemble en Suisse réalisée par l’Office fédéral de la statistique en 2020, selon laquelle 8 % de la population suisse seraient hostile aux personnes de confession juive et 22 % partagerait des stéréotypes sur ces mêmes personnes.

En s’appuyant sur les rapports relatifs à l’antisémitisme pour la Suisse romande, alémanique et italophone, on note une augmentation des incidents antisémites en 2021 dans l’ensemble de la Suisse. La majorité de ces incidents (94 %) se produisent sur le web. Durant la pandémie de Covid-19, la propagation de propos antisémites et de théories du complot est montée en flèche, le contexte faisant que la population était en recherche de boucs émissaires. En 2021, les propos négationnistes vis-à-vis de l’Holocauste ont aussi progressé dans tout le pays. Les déclarations antisémites concernant Israël ont fait leur apparition lors d’incidents liés au conflit israélo-palestinien.

Bases juridiques en Suisse

Depuis 1993, la norme pénale contre le racisme (art. 261bis CP) punit la discrimination fondée sur l’appartenance religieuse en Suisse. Cela comprend les incitations publiques à la haine ou à la discrimination, la diffusion d’idéologies racistes, le dénigrement ainsi que le refus d’accorder une prestation et la contestation de génocides. Entre 1995 et 2020, parmi les cas de violation de la norme pénale contre le racisme, les personnes de confession juive ont été les victimes les plus fréquentes (25 %) et dans 22 % des cas, l’idéologie antisémite était à l’origine de la violation. Entre 1995 et 2019, on dénombre 73 cas de négationnisme de la Shoah, représentant ainsi la grande majorité des cas de négationnisme.

Si les propos et les actes antisémites ne sont pas publics, ils ne sont pas répréhensibles selon la législation suisse. C’est également le cas si d’autres exigences légales ne sont pas remplies. Même si certains de ces actes et déclarations ne sont pas punissables, ils peuvent avoir un caractère antisémite (ou raciste) ou/et favoriser les préjugés.

Interdiction insuffisante des symboles racistes et antisémites

D’après l’article 261bis du Code pénal, les symboles antisémites ne sont prohibés que «s’il en résulte une diffusion propagandiste d’idéologies racistes, une incitation à la discrimination raciale ou un dénigrement raciste d’une personne ou d’un groupe de personnes spécifiques». La Commission fédérale contre le racisme critique le fait que les autorités de poursuite pénale appliquent toutefois cette norme de manière très restrictive et que l’exhibition de symboles nationaux-socialistes et antisémites (comme les croix gammées ou le salut hitlérien) ne donne souvent pas lieu à des condamnations en Suisse. La Commission fédérale contre le racisme se positionne donc en faveur d’une interdiction pure et simple des symboles racistes.

Obligations découlant des conventions internationales relatives aux droits humains

En 1998, la Suisse a accordé aux personnes de confession juive le statut de minorité nationale en ratifiant la Convention-cadre européenne pour la protection des minorités nationales. En vertu de cet accord, la discrimination des minorités nationales est prohibée (art. 4, paragraphe 1) et la Confédération et les cantons sont tenus de protéger les institutions et les personnes de confession juive contre les actes de violence (article 6, paragraphe 2).

Conformément à la Convention de l’ONU pour la prévention et la répression du crime de génocide qu’elle a elle-même ratifiée, la Suisse doit également prévenir l’incitation directe et publique à commettre un génocide (art. III, ch. c).

Tous les cinq ans, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance établit en outre un rapport national concernant la Suisse, contenant également des recommandations vis-à-vis du pays pour lutter contre l’antisémitisme.

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