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Congé parental

L'essentiel en bref

27.10.2022

La Suisse ne dispose actuellement pas de base juridique pour un congé parental au niveau national. Les initiatives se multiplient actuellement en faveur de l’instauration d’une telle mesure au niveau des cantons. Si les propositions diffèrent et se trouvent à divers stades du processus législatif, toutes revendiquent la mise en place d’un congé parental pour compléter ou remplacer les congés maternité et paternité existants afin de garantir une plus grande égalité entre hommes et femmes.

Dans ce cadre, humanrights.ch résume sur une page le contexte politique dans lequel les initiatives s’inscrivent, les éléments qu’elles contiennent ainsi que les droits et libertés concernés. Les principaux événements et dates concernant ces initiatives sont par ailleurs présentés dans un résumé chronologique. Quant à savoir pourquoi humanrights.ch se positionne en faveur d’un congé parental, une lecture de l’argumentaire saura vous éclairer.

Pas de base légale pour un congé parental en Suisse

Si un congé maternité payé de 14 semaines été introduit en Suisse en 2005 et un congé paternité de deux semaines est entré en vigueur en 2021, aucun congé parental n’est aujourd’hui prévu par le droit fédéral suisse. Certains secteurs et certaines entreprises accordent des congés plus généreux, mais la durée du congé et le montant de l’allocation varient d’un secteur à l’autre et d’une entreprise à l’autre.

Jusque-là, tant le Conseil national que le Conseil des États se sont systématiquement prononcés contre les nombreux objets parlementaires pour l’instauration d’un congé parental. Le Conseil fédéral s’est toujours exprimé en leur défaveur, préférant privilégier le développement des offres d'accueil de jour extrafamilial et parascolaire. Les tentatives pour remplacer le projet de congé paternité par un congé parental lors des délibérations sur la mise en œuvre de l’initiative populaire «Pour un congé de paternité raisonnable - en faveur de toute la famille» ont par ailleurs échoué.

Les cantons, qui ne disposent d’aucune compétence pour imposer un congé dans les relations de travail de droit privé, se trouvent aujourd’hui face à une insécurité juridique, ceux qui légifèrent en la matière s’exposant à d’éventuels recours d’employeur·euse·x·s devant les tribunaux. Aussi, les personnes salariées ne peuvent bénéficier d'un tel congé que sur la base de l'accord de leur employeur·euse·x, ce qui engendre un fort risque d'inégalités entre parents.

La société civile et les cantons se mobilisent

Non convaincu·e·x·s du congé de paternité de deux semaines largement adopté en septembre 2020 par la population votante, les milieux concernés, les représentant·e·x·s de différents partis politiques ainsi que les commissions extra-parlementaires pour les questions féminines et familiales CFQF et COFF se sont allié·e·x·s pour que le congé parental fasse une percée en Suisse. Le comité d’initiative «Le congé parental maintenant!» s’est ainsi formé pour lancer une initiative fédérale en faveur d’un congé parental d’au moins 14 semaines afin de renforcer l'égalité entre les deux parents.

Le projet d’initiative fédérale n’a pas abouti faute d’accord sur un modèle commun, bien que la volonté d'instaurer un congé parental soit bien présente dans toute la Suisse, de nombreuses initiatives ayant vu le jour dans divers cantons. Le Tessin est toutefois à l’heure actuelle le seul canton à avoir instauré un congé parental (de deux semaines) en janvier 2021. Une initiative du Jura demandant au Conseil fédéral d’autoriser les autorités cantonales à légiférer sur un congé parental a été refusée par l’Assemblée fédérale en 2021.

Différents modèles sur la table

Plusieurs projets de congé aux modalités différentes ont été élaborés, les variantes se distinguant tant par leur durée que par la flexibilité de la répartition, l’inclusion explicite ou non de familles non-traditionnelles ou adoptives dans les textes d’initiatives et le remplacement ou la complémentarité avec les mesures existantes de congé paternité et maternité.

Une proposition de congé de 32 semaines dont 16 semaines pour chaque parent a été mise sur la table par l’association ayant lancé le projet d’initiative populaire fédérale. Celle-ci mentionne également un modèle moins ambitieux de 14 semaines, afin de faciliter la création d'une alliance non partisane qui bénéficierait d’un soutien plus large.

La Commission fédérale pour les questions familiales a proposé en 2018 un modèle de 38 semaines de congé rémunéré à 80% comprenant un congé maternité de 14 semaines, un total de 8 semaines réservées au père (dont seules 2 pouvant être prises en même temps que la mère) ainsi que 16 semaines à se répartir entre les deux parents, ne pouvant pas être prises simultanément. Ce modèle prévoit une possibilité de travail à temps partiel pour les deux parents, pour la mère à partir de la 9ème semaine après la naissance.

La Commission fédérale pour les questions féminines souhaite quant à elle un congé parental d’une durée de 24 semaines au moins sur 12 mois avec possibilité de temps partiel et une portion minimale réservée à chaque parent. Ce projet présente une caractéristique essentielle: le droit au congé parental débute après le congé de maternité de 14 semaines octroyé aux mères; de même, il débute pour les pères après un éventuel congé de paternité à prendre immédiatement après la naissance.

Les initiatives cantonales présentent aussi des différences. Au Tessin, les dix jours du nouveau congé parental peuvent s'ajouter aux 14 semaines du congé maternité ou aux deux du congé paternité en vigueur au niveau national. L’initiative bernoise prévoit 24 semaines au total, dont 6 réservées à chaque parent, pouvant être prises jusqu’à l’entrée de l’enfant à l’école enfantine. À Genève, l’initiative vise à introduire un minimum de 24 semaines, soit 16 semaines en cas de maternité ou d’adoption et 8 pour l’autre parent, dont 2 semaines transférables de manière flexible. Les projets de loi des cantons de Neuchâtel et de Vaud, plus ambitieux, prévoient 34 semaines de congé parental cantonal, faisant ainsi passer le congé de 14 à 16 semaines pour la mère et de 2 à 14 pour l’autre parent, les 4 semaines restantes pouvant être réparties librement. L’initiative zurichoise refusée en 2022 demandait quant à elle 18 semaines pour chaque parent.

Aujourd’hui un acquis européen…

La Suisse reste à l’heure actuelle le seul État européen à ne pas avoir introduit de congé parental. Une étude de 2021 menée par l’UNICEF la classe avant-dernière (40ème sur 41) d’une liste de pays de l’OCDE et de l’Union Européenne en matière de congé pour les parents. Les voisins de la Suisse ont pour certains adopté le congé parental depuis longtemps déjà, à l’instar de la Norvège qui l’a instauré en 1978 en tant que mesure de soutien aux carrières féminines. Depuis 2010, une directive sur l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents oblige tous les pays membres de l’UE à garantir une durée minimale de quatre mois de congé parental (art. 21).

Le congé parental est à la croisée de plusieurs normes juridiques relevant du droit international des droits humains ainsi que de principes constitutionnels: l’égalité femmes-hommes dans les domaines de la famille (art. 5 let. b CEDEF; art. 8 al. 3 Cst.) et du travail (art. 11 CEDEF; art. 8 al. 3 Cst.), les droits de l’enfant (art. 6 par. 2 CIDE; art. 18 CIDE; art. 28 CIDE; art. 29 par. 1 let. a CIDE) ainsi que le droit à la vie familiale (art. 41 let. c Cst.; art. 116 al. 1 Cst.; art. 8 CEDH). La Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) considère que le congé parental entre dans le champ d’application de l’article 8 CEDH garantissant le droit au respect de la vie familiale, bien que celui-ci ne comporte pas d’obligation positive de prévoir une allocation de congé parental. Au niveau du Conseil de l’Europe, deux recommandations du Comité des Ministres (R (96) 5; Rec (2007) 17) et une résolution (1939 (2013)) de l’Assemblée parlementaire encouragent l’adoption d’un congé parental. De plus, la Charte sociale européenne révisée de 1966, non ratifiée par la Suisse, engage les parties à prévoir la possibilité pour chaque parent d’obtenir un congé parental, bien que les modalités de ce dernier ne soient pas précisées.

Demain une base juridique inclusive en Suisse ?

Les organisations de la société civile actives dans le domaine de la famille sont largement favorables à l’instauration d’un congé parental, leurs motivations et revendications différant en fonction de leur domaine d’action.

Les associations des pères souhaitent obtenir un congé qui permette une réelle implication dans leur nouveau rôle, au-delà des deux semaines de congé paternité récemment obtenues. Les associations des mères tiennent, entres autres, à protéger le congé maternité, c’est-à-dire que le congé parental vienne s’ajouter à cette mesure de protection de la santé des mères plutôt que de la remplacer. Les associations des familles arc-en-ciel et adoptives se mobilisent elles pour que la législation prenne en compte la diversité des modèles familiaux de manière égalitaire. Les organisations du domaine de l’enfance considèrent le congé parental comme un pas en avant pour l’implication des deux parents et le développement de l’enfant. Enfin, les associations féministes insistent sur le fait que la dimension genrée des inégalités doit être prise en compte, l’égalité de droit ne suffisant pas si elle n’est pas accompagnée de mesures pour instaurer l’égalité de fait. 

Plusieurs signaux témoignent d’un intérêt croissant pour le congé parental. En septembre 2021, un postulat de la Commission de la sécurité́ sociale et de la santé publique a été adopté, chargeant le Conseil fédéral de présenter une analyse économique globale coûts-bénéfices. Enfin, l’adoption en 2021 par l’Assemblée fédérale d’un congé payé d’adoption de deux semaines que peuvent se partager les deux parents montre que le vent commence à tourner en matière de politique familiale.

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