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Congé parental

L'argumentaire

27.10.2022

La Suisse ne dispose actuellement pas de base juridique pour un congé parental au niveau national. Les initiatives se multiplient actuellement en faveur de l’instauration d’une telle mesure au niveau des cantons. Si les propositions diffèrent et se trouvent à divers stades du processus législatif, toutes revendiquent la mise en place d’un congé parental pour compléter ou remplacer les congés maternité et paternité existants. Dans cette perspective, humanrights.ch présente ici son argumentaire.

L'organisation met en avant les principaux arguments pour l’instauration d’un congé parental en Suisse, mesure en faveur de l’égalité et de conciliation entre vie familiale et professionnelle. Le contexte et les faits majeurs permettant de comprendre cette revendication sont par ailleurs détaillés dans une fiche «essentiel en bref». Quant aux principaux événements et dates qui jalonnent son long parcours, ils sont présentés dans un résumé chronologique régulièrement mis à jour.

OUI pour lutter contre les inégalités de genre au sein de la famille

En Suisse, les femmes accomplissent 50% de travail domestique et familial de plus que les hommes. Près de trois femmes actives occupées sur cinq travaillent à temps partiel et 30% d’entre elles le justifient par la garde des enfants. De plus, l’arrivée d’un premier enfant correspond selon une étude récente à un moment de re-traditionnalisation de l’organisation familiale. Pour les mères, il s’agit d’une interruption dans leur parcours professionnel caractérisée par la grossesse et le congé maternité, souvent suivie d’une reprise à temps partiel de leur activité lucrative pour concilier vie familiale et professionnelle. Or le système actuel de congé favorise la répartition genrée des rôles et des tâches au sein du couple. Si les mères disposent de 14 semaines de congé maternité payées, le congé de paternité de deux semaines introduit en 2021 reste insuffisant pour que les pères puissent participer activement à la prise en charge des enfants et s’y investir durablement.

La Suisse a ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) dont le préambule rappelle que «la procréation ne doit pas être une cause de discrimination» et que le «rôle traditionnel de l’homme dans la famille et dans la société doit évoluer autant que celui de la femme» pour parvenir à l’égalité. Les autorités doivent ainsi prendre des mesures pour «faire reconnaître la responsabilité commune des hommes et des femmes dans le soin d’élever leurs enfants» (art. 5 let. b CEDEF). De plus, la loi suisse doit pourvoir à l’égalité de droit mais aussi de fait entre femmes et hommes, notamment dans le domaine de la famille (art. 8 al. 3 Cst.).

Le congé parental contribue à lutter contre ces inégalités au sein de la famille. La Commission fédérale de coordination pour les questions familiales conclut que le congé parental payé renforce l’engagement du père, et ce d’autant plus que le congé est long. En Suède, en Islande et en Norvège, trois pays qui disposent depuis longtemps d’un modèle accordant aux pères un droit individuel, ceux-ci sont plus de 80% à y avoir recours. Aussi, afin que les pères recourent effectivement à ce congé et que celui-ci ne soit pas seulement pris par les femmes, ce qui tendrait à renforcer les inégalités, une partie du congé doit être organisée sous forme de droit intransmissible, c’est-à-dire avec une portion minimale réservée à chaque parent.

OUI pour favoriser la vie familiale

Le retard de la Suisse en matière de politique familiale est particulièrement marquant en comparaison internationale. Une étude de 2021 par l’UNICEF la classe avant-dernière (40ème/41) d’une liste de pays de l’OCDE et de l’UE en matière de congé pour les parents. La directive 2019/1158 oblige en effet tous les pays membres de l’Union Européenne à garantir une durée minimale de quatre mois de congé parental. La Constitution oblige pourtant la Confédération à encourager et protéger les familles (art. 41 let. c Cst.) et à prendre en considération leur besoins (art. 116 al. 1 Cst.). Si les initiatives se multiplient pour introduire des congés parentaux au niveau cantonal, le Conseil fédéral se prononce encore systématiquement contre l’instauration d’une telle base juridique au niveau national.

Or la situation actuelle est loin d’être satisfaisante. Le congé de paternité payé de deux semaines récemment introduit est jugé trop court par plusieurs commissions parlementaires (COFF, CFQF) pour permettre aux pères de s’impliquer réellement dans les changements familiaux qui résultent de l’arrivée d’un enfant. La Suisse est aujourd’hui au niveau de la norme minimale du congé de maternité de 14 semaines fixée par la Convention no 183 de l’Organisation international du Travail (OIT) qui vise uniquement la protection de la mère après l’accouchement. De plus, le système actuel est particulièrement inégalitaire et disparate par rapport aux familles dites non traditionnelles (adoptives, monoparentales, arc-en-ciel etc.). Les mêmes droits doivent être garantis à toutes les familles, indépendamment de leur composition ou du mode d’accès à la parentalité. Afin de permettre aux deux parents de prendre en charge sur le long terme les changements sociaux et organisationnels provoqués par la parentalité dans la vie familiale, un congé parental inclusif et flexible de longue durée est donc nécessaire.

C’est en effet le droit au respect de la vie familiale qui est en jeu. Si la Cour européenne des droits de l’homme considère que ce droit ancré dans la Convention européenne des droits de l’homme (art. 8 CEDH) ne comporte pas d’obligation positive de prévoir une allocation de congé parental, elle juge cependant que cette mesure permet à l’État de témoigner son respect pour la vie familiale. Par ailleurs, dans son rapport de suivi, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels regrette que la Suisse n’ait pas avancé quant à l’introduction d’un congé parental partagé, recommandation déjà communiquée aux autorités en 2019. Enfin, le Comité́ des Ministres du Conseil de l’Europe recommande aux États membres d’adopter un congé parental. Un cadre juridique unifié permettrait à la Suisse d’assurer les mêmes droits à tous les parents en complétant le droit fédéral actuel et de combler ainsi son retard en matière d’encouragement de la vie familiale.

OUI pour garantir l’égalité sur le plan professionnel

Actuellement les femmes suisses renoncent encore souvent à une carrière professionnelle ou la mettent entre parenthèses du fait de la maternité et des tâches familiales et éducatives. En 2020, les mères vivant avec leur partenaire et des enfants dont le plus jeune a moins de 15 ans ont consacré seulement 16,1 heures par semaine au travail rémunéré contre 52,3 heures aux travail domestique et familial, dont 22,3 dans la garde des enfants. Les pères quant à eux ont dédié 35,4 heures au travail rémunéré et 31,7 heures au travail domestique et familial, dont 14,7 heures à la garde des enfants. Si les parents sont libres de choisir le modèle familial et économique qui leur convient, le cadre légal et social actuel limite cette liberté de choix. En Suisse, la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale reste encore très compliquée pour les femmes, notamment en raison du manque d'infrastructures pour la garde des enfants, leurs coûts élevés – particulièrement pour les nourrissons –, l’imposition des couples mariés et l'absence d'un congé parental. Ces facteurs, combinés aux inégalités salariales, font que ce sont majoritairement les femmes qui reprennent à temps partiel ou arrêtent temporairement voire définitivement leur activité rémunérée après l’arrivée d’un enfant.

Cette situation, qui favorise le travail rémunéré des hommes par rapport à celui des femmes pour les familles avec enfants, est contraire aux obligations nationales et internationales de la Suisse. Premièrement, au niveau national, l’égalité de fait et de droit doit être garantie dans le domaine du travail (art. 8 al. 3 Cst.). Ensuite, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) engage la Suisse à prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans le domaine de l’emploi et à leur assurer les mêmes droits sur la base de l’égalité femmes-hommes (art. 11 CEDEF). L’État doit ainsi garantir leur droit effectif au travail aussi en cas de maternité, et notamment permettre aux parents de combiner les obligations familiales avec les responsabilités professionnelles (art. 11 par. 2 CEDEF). De plus, la Recommandation 165 de l’Organisation internationale du Travail encourage les États membres à adopter un congé parental (par. 22).

La difficile conciliation entre vie professionnelle et vie familiale qui défavorise l’implication des femmes sur le marché du travail, ainsi que l’important niveau de temps partiel qui en découle, influent aussi sur leurs opportunités effectives qui se voient limitées: au même niveau de formation que les hommes, elles occupent des postes avec moins de responsabilités; elles sont davantage touchées par le chômage et la différence des salaires moyens entre femmes et hommes s’élève à presque 20%. Selon l’OFS, 18% des mères employées à temps partiel souhaiteraient travailler plus. Les femmes avec des enfants doivent pouvoir exercer une activité rémunérée avec des opportunités égales. Or, le congé parental permet d’augmenter le taux d’emploi des femmes et d’encourager la reprise du travail. L'instauration d'un congé parental va de pair avec la mise en place de mesures complémentaires en matière d'accueil extrafamilial.

OUI pour favoriser les droits de l’enfant

La Suisse a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant (CIDE) dont le préambule définit la famille comme unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres, et en particulier de l’enfant, qui doit recevoir protection et assistance. Ainsi, l’État doit assurer dans toute la mesure possible le développement de l’enfant (art. 6 par. 2 CIDE) et accorder l’aide appropriée aux parents dans l’exercice de la responsabilité commune qui leur incombe d’élever l’enfant et d’assurer son développement (art. 18 CIDE).

L’UNICEF préconise au moins six mois de congé parental. En effet, le congé parental a un effet positif sur la santé physique des enfants de moins d’un an. De plus, les familles défavorisées sur le plan socio-économique et celles ayant un faible niveau de formation profitent davantage des effets du congé parental. Si l’impact sur la scolarité reste difficile à mesurer, un congé favoriserait ainsi également l’égalité des chances en matière de droit de l’enfant à l’éducation (art. 28 CIDE) et du développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités (art. 29 par. 1 let. a CIDE). Le congé parental, en tant que mesure qui favorise le développement de l’enfant au sein du cocon familial, augmente les chances de tous les enfants de se développer sainement.