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B.K. c. Suisse: Expulsé malgré sa grave maladie: la CrEDH blâme la Suisse

31.07.2025

Un citoyen kosovar né en Suisse et souffrant d’une grave maladie cardiaque a été expulsé à tort selon l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) rendu en mai 2025. Les juges ont considéré que son expulsion violait son droit au respect de la vie privée au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

L’arrêt de la CrEDH du 2 mai 2025 dans l’affaire B.K. c. Suisse dénonce les mesures de contrainte en matière de droit des étrangers à l’égard des personnes résidant depuis longtemps en Suisse et souffrant de problèmes de santé. Les juges de Strasbourg ont constaté que l’expulsion de B.K., né en Suisse, violait l’article 8 de la CEDH, protégeant le droit au respect de la vie privée et familiale. La mesure a en effet compromis l’accès aux soins médicaux vitaux et le maintien du lien personnel de l’individu avec la Suisse. 

Expulsé malgré avoir passé sa vie en Suisse

B.K., né au Kosovo en 1989, est arrivé en Suisse alors qu’il était encore un bébé et a vécu sans interruption avec sa famille pendant plus de trois décennies. Il obtient, avec ses parents et ses frères et sœurs, une autorisation de séjour illimitée. Souffrant d’une malformation cardiaque congénitale, il subit une intervention chirurgicale vitale en 2009, qui exige depuis un suivi médical spécialisé. 

Malgré ses problèmes de santé, son autorisation de séjour est révoquée après qu’il a commis plusieurs infractions. Le requérant est condamné pour lésions corporelles graves, vol, menaces, injures et infraction à la loi sur les armes en 2009. Les autorités suisses ont justifié leur décision d’expulsion par l’intérêt public à l’ordre et à la sécurité. B.K fait valoir que sa grave maladie cardiaque nécessitait un traitement spécialisé, non disponible de manière équivalente au Kosovo, que son intégration sociale et familiale en Suisse était complète et qu’une interdiction de travail pendant une procédure en matière de droit des étrangers de longue durée aurait également rendu difficile un retour sur le marché du travail. Les recours du requérant contre cette décision, fondés notamment sur son état de santé et sur l’insuffisance des soins médicaux au Kosovo, sont rejetés par le Tribunal fédéral entre 2011 et 2023.

En juillet 2023, après avoir reçu une décision définitive, B.K quitte la Suisse. Il est interdit de retourner sur le territoire jusqu’en juillet 2026, bien qu’il puisse être confronté à des urgences médicales entre temps.

Une violation du droit au respect de la vie privée et familiale

La Cour a reconnu que le B.K. était un «migrant établi», car il était arrivé en Suisse alors qu’il était enfant, avait obtenu une autorisation de séjour et y avait résidé légalement jusqu’à son expulsion; l’article 8 de la CEDH est donc applicable au titre du «respect de la vie privée». Le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance est protégé par l’article 8 de la CEDH. Une ingérence dans l’exercice de ce droit n’est admissible que si elle est prévue par la loi, si elle poursuit un but légitime tel que la protection de l’ordre public, et si elle est nécessaire dans une société démocratique. 

La Cour a estimé que les autorités suisses n’avaient pas procédé à une mise en balance suffisante des intérêts: si elle reconnaît que les États sont habilités à expulser des personnes étrangères, notamment en cas d’infractions graves, dans le cas de personnes résidant depuis longtemps en Suisse, elle exige qu’un examen de proportionnalité strict soit réalisé, en particulier lorsqu’il existe des risques pour la santé.

Une violation de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (article 3 CEDH) a également été invoquée. En raison de la violation de l'article 8 CEDH constatée, la CrEDH n'a pas jugé nécessaire d'examiner séparément ce deuxième grief. Toutefois, l'article 3 CEDH doit systématiquement être pris en compte dans le contexte des maladies chroniques ou potentiellement mortelles, comme l'a clairement démontré, entre autres, l'arrêt de principe Paposhvili c. Belgique.

Les autorités n’ont pas suffisamment examiné la proportionnalité

La Cour a conclu que la Suisse avait, par l’expulsion et l’interdiction d’entrée sur son territoire, violé le droit au respect de la vie privée au sens de l’article 8 CEDH, car l’examen minutieux de la proportionnalité qui s’imposait n’avait pas été effectué. Les juges ont examiné la proportionnalité de l’ingérence sur la base des critères développés dans les arrêts Üner c. Pays-Bas et Savran c. Danemark: la durée de résidence, l’âge lors de l’entrée dans l’État, le degré d’intégration, les attaches familiales, la gravité des infractions et la situation dans le pays d’origine. Elle a reproché aux instances suisses de ne pas avoir examiné ces facteurs de manière complète et rappelle que les infractions commises remontent à de nombreuses années, que les attaches au Kosovo sont hypothétiques, et que les visites occasionnelles effectuées durant sa jeunesse ne permettraient pas de construire des liens solides sur place. Bien que plusieurs délits, dont un délit de violence et un délit routier, lui sont reprochés entre 2007 et 2011, la Cour a relevé que les infractions ayant conduit à son expulsion avaient été commises avant ses vingt ans, que B.K n’a pas été condamné depuis plus d’une décennie et qu’il ne représentait plus une menace pour la sécurité publique.

Sur le plan médical, la Cour a constaté l’absence d’une assurance de soins au Kosovo, notamment pour les cas d’urgence. Les autorités n’auraient pas dû se limiter à la faible probabilité statistique que le requérant soit victime d’un problème de santé aigu - de 0,7 à 1% par an -, mais auraient dû tenir compte des conséquences mettant potentiellement en danger son existence.

Enfin, la CrEDH a rejeté l’argument selon lequel de telles situations inciteraient d’autres ressortissant·e·x·s étranger·ère·x·s à prolonger leur séjour par des procédures de recours afin de régulariser leur situation. L’exercice légitime des voies de recours disponibles par le requérant ne doit pas avoir un poids négatif dans la mise en balance des intérêts.

Les soins médicaux protégés par la jurisprudence

La Cour renvoie à l’arrêt Paposhvili c. Belgique, dans lequel elle précise qu’une expulsion n’est autorisée que si les soins médicaux sont effectivement disponibles et accessibles dans l’État de destination. La simple possibilité d'un retour à court terme en cas de complications a été jugée insuffisante par les juges, compte tenu de l'interdiction d'entrée dans l'espace Schengen et des incertitudes de la procédure. Ainsi, l'arrêt met en lumière le droit garanti par la CEDH à un accès effectif aux soins médicaux, aussi dans le contexte de la migration. Selon les rapports médicaux, la prise en charge de la pathologie clinique complexe de B.K. n’est pas garantie en cas d'urgence.

Une évaluation individualisée est obligatoire

Cet arrêt a un impact qui va au-delà du cas d’espèce: il renforce les droits des ressortissant·e·x·s étranger·ère·x·s vivant depuis longtemps dans un État contractant et souffrant de problèmes de santé. Les juges ont également souligné le caractère individuel que doit revêtir l'examen de la proportionnalité: même lorsque des infractions pénales sont en jeu, la protection des droits humains prévaut. En tant qu'État partie à la CEDH, la Suisse est tenue d'examiner les mesures relevant du droit des migrations en tenant particulièrement compte des vulnérabilités des individus, tant sur le plan sanitaire que social. 

Cette affaire illustre de nouveau l'importance croissante de la santé dans le contexte du droit des migrations et rappelle l’obligation pour les autorités nationales de respecter les normes contraignantes de la CEDH, qu’elles protègent la santé ou les garanties générales de procédure découlant de l'État de droit. Les futures décisions d'expulsion de malades chroniques ou de personnes vulnérables devront être évaluées à l'aune de ces normes.