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Quand la Suisse va–t-elle améliorer la protection contre les licenciements abusifs?

23.11.2016

La 105ème session de la Conférence internationale du Travail a eu lieu du 30 mai au 11 juin 2016 à Genève. A cette occasion, la Commission d'experts de l'OIT a critiqué à plusieurs reprises la Suisse en raison de l’insuffisance de protection accordée aux travailleu-rs/ses contre les licenciements.

Depuis de nombreuses années, la situation politique relative à la protection contre les congés abusifs, en particulier les licenciements antisyndicaux, est mal engagée en Suisse. Une pression internationale est exercée afin que les dispositions légales helvétiques soient améliorées, et plus particulièrement celles relatives à la protection contre les licenciements des représentant-e-s syndica-ux/les. Dans le même temps, le Conseil fédéral a dû bloquer une révision de loi déjà initiée en 2010, étant donné que cette dernière a été purement et simplement refusée lors de la procédure de consultation.

En automne 2012, l’Union syndicale suisse (USS) a par conséquent réactivé une plainte déjà déposée en 2003 auprès de l'Organisation internationale du Travail (OIT). En outre, la Confédération a commandé dans la même année une étude qui a été publiée en septembre 2015. Celle-ci contient quelques pistes de réflexion pragmatiques.

Au cours de ces dernières années, les syndicats nationaux ainsi que la Confédération Syndicale Internationale (CSI) ont pu démontrer à plusieurs reprises, au moyen d'exemples concrets, que leurs revendications sont effectivement justifiées pour une meilleure protection contre les licenciements. Les travailleu-rs/ses qui militent en Suisse pour de meilleures conditions de travail et qui font grève le cas échéant courent le risque d’être licenciés. La Suisse est le seul pays parmi ses voisins à ne pas bénéficier d’une protection suffisante contre les licenciements, alors que les travailleu-rs/ses des pays limitrophes bénéficient d’une protection plus large.

La Suisse à nouveau blâmée

Pour la troisième fois, le Comité d'experts de l'OIT a critiqué la Suisse à ce sujet lors de la 105ème session de la Conférence de l'OIT qui s’est tenue du 30 mai au 11 juin 2016.

L’élément déclencheur est un communiqué de presse de la Confédération Syndicale Internationale (CSI) daté du 1er septembre 2015 à l'attention de l'OIT. Ce document revient sur de nouveaux cas de licenciements antisyndicaux qui se sont déroulés dans le milieu de la presse suisse, dans l'industrie de l'édition et dans le secteur de la santé ainsi que sur des intimidations à l’encontre de représentent-e-s syndica-ux/les de prestataires de services de l'aéroport de Genève. Le rapport de la Commission d'experts de l'OIT critique la violation persistante de la Convention 98 de l'OIT. En effet, les dispositions légales actuelles en Suisse permettent encore de pratiquer des licenciements antisyndicaux et les menaces de sanctions sont ostensiblement légères en cas de pratique de congé abusif.

L’Union syndicale suisse (USS) a déjà déposé en 2003 une plainte à l'OIT à l’encontre de la Suisse. Par la suite, deux rapports intermédiaires de la Commission d'experts de l'OIT ont été publiés en 2004 et 2006, dans lesquels l’USS a obtenu gain de cause sur le fond.

L’USS exige une intervention politique

Dans le cadre de la Conférence de l’OIT en 2016, des discussions tripartites ont de surcroît eu lieu entre le président de la Confédération Johann Schneider-Ammann, les employeurs suisses et les représentant-e-s des travailleu-rs/ses. Pourtant, l’USS a rappelé que la Suisse ne dispose toujours pas d'une protection efficace contre les licenciements antisyndicaux. Dans une prise de position, l’USS note qu’«un engagement sérieux et entier de la Suisse dans l’OIT ne passe pas uniquement par la ratification d’accords et au financement de projets. Il doit aussi trouver son expression dans la mise en œuvre des devoirs de l’Etat dans la législation nationale, dans ce cas spécifique, par une amélioration de la protection contre les licenciements antisyndicaux dans le droit des obligations».

Exemple: licenciement avec effet immédiat pendant une grève

L’exemple qui suit est illustratif de cette problématique qui n’est de loin pas encore résolue et revient sur les événements qui se sont produits dans le cadre d’une grève au supermarché SPAR attenant à la station-service de Dättwil, dans le canton d’Argovie. Les employés s’étaient mis en grève en juin 2013 afin de réclamer de meilleurs salaires et lutter contre des conditions de travail inacceptables. Selon Corinne Schärer, membre du Comité directeur d’Unia, «ce n’est qu’après sept jours de grève que le management de SPAR s’est déclaré favorable à cette option, pour toutefois quitter la table des négociations au milieu des discussions, sans donner de justification. Ensuite, la direction n’a plus pris en compte une quelconque proposition des employé(e)s ou d’Unia. Et au onzième jour de grève, survient le coup de force: au lieu de reprendre les discussions, la direction licencie les 11 employé(e)s avec effet immédiat».

Liberté de réunion et d'association

Une protection adéquate contre le licenciement, telle que réclamée par les syndicats, contribuerait à garantir que les représentant-e-s des travailleu-rs/ses soient en mesure de négocier avec les employeurs sur un pied d'égalité dans de pareilles situations. De fait, si la protection contre les licenciements est trop faible, le droits humain relatif à la liberté de réunion, qui comprend également les activités syndicales (liberté de réunion et d'association) conformément à l’art. 11 de la Convention européenne des droits de l'homme - CEDH, sera indirectement vidé de tout sens.

En plus de la disposition de la CEDH auparavant mentionnée, la liberté de réunion et d’association ainsi que la liberté syndicale sont également ancrées dans les conventions 87 et 98 de l'OIT. La Convention 87 de l'OIT a été ratifiée par la Suisse en 1975 et la Convention 98 de l'OIT en 1999. Bien que les deux conventions ne sont pas directement applicables en vertu de la jurisprudence helvétique, la Suisse est tenue de transposer ces dispositions dans le droit interne et donc de s'y conformer. Cependant, la situation juridique actuelle ainsi que la jurisprudence s’avèrent être, dans la mise en œuvre et le respect de ces libertés, au mieux insuffisantes .

Etude pour le compte du Conseil fédéral

En novembre 2012, le Conseil fédéral a chargé le Département fédéral de justice et police (DFJP), en collaboration avec le Département fédéral de l'économie (DFE), d’élaborer une étude sur les principes et sur les conditions-cadres relatives à la protection accordée aux représentant-e-s des travailleu-rs/ses. Cette étude devrait servir de base afin de trouver une solution dans le cadre de la Commission fédérale tripartite pour les affaires de l'OIT qui serait aussi portée par l’un des partenaires sociaux. La mise en œuvre de l'étude a été confiée au Centre d’étude des relations de travail de l’Université de Neuchâtel. L’objectif de cette étude était de répondre à la question consistant à savoir si la protection contre les licenciements en Suisse correspond aux normes internationales, et dans quelle mesure la protection contre les licenciements des travailleu-rs/ses devrait être améliorée.

L'étude a été publiée le 15 août 2015 et a préalablement confirmé la situation juridique problématique en Suisse. D'une part, certains droits fondamentaux sont théoriquement garantis par des accords internationaux, mais ceux-ci sont insuffisamment protégés dans la pratique. D'autre part, l'étude indique clairement que le droit du travail privé en Suisse se caractérise par des principes libéraux, de sorte que la protection contre les licenciements est toujours confrontée à la liberté de résiliation. Tenant compte de cette situation politique, les auteur-e-s de l'étude présentent trois pistes de réflexion pragmatiques.