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Initiative pour des multinationales responsables

L’essentiel en bref

04.11.2019

Des entreprises basées en Suisse sont impliquées dans des violations des droits humains et des atteintes à l'environnement dans le monde entier. Déposée en octobre 2016, l’initiative pour des multinationales responsables demande des règles contraignantes pour qu’elles puissent être tenues responsables de violations de ces droits le cas échéant.

humanrights.ch résume le contexte politique national et international dans lequel s’inscrit l’initiative, les principaux éléments qu’elle contient ainsi que les droits et libertés concernés. Une lecture de l’argumentaire de humanrights.ch vous offrira des pistes de réflexion sur la nécessité d’une telle initiative du point de vue des droits humains. La chronologie quant à elle retrace le ping pong parlementaire autour du contre-projet indirect, au cœur de la bataille législative et ses origines. L'initiative populaire «Pour des entreprises responsables - pour protéger l’être humain et l’environnement» est l’héritière de la campagne «Droit sans frontières», menée par une coalition de 50 ONG. Elle avait abouti à la pétition «Des règles contraignantes pour les multinationales suisses», soumise au Parlement en 2012 avec 135'285 signatures. Sans effet.

Que demande l'initiative pour des multinationales responsables?

L'initiative populaire «Pour des entreprises responsables - pour protéger l’être humain et l’environnement» demande l'inscription d'un nouvel article 101a dans la Constitution fédérale, stipulant qu'à l'avenir, les entreprises basées en Suisse devront intégrer de manière contraignante les droits humains et les normes environnementales dans leurs activités économiques à l’étranger. Sur la base des Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (principes Ruggie), les entreprises sont tenues de suivre une procédure de diligence raisonnable. Elles doivent analyser les risques potentiels pouvant découler de leurs activités commerciales et prendre des mesures transparentes en cas de violation des droits humains et des normes environnementales.

Le respect de ces obligations est garanti par le mécanisme de responsabilité des entreprises, qui s’applique aussi bien à la société mère qu’à ses filiales et aux partenaires sur lesquels elle exerce un contrôle.
Les victimes pourront ainsi réclamer des dommages et intérêts à l’entreprise devant les tribunaux suisses, la charge de la preuve leur incombant. L'entreprise a la possibilité d'être dégagée de toute responsabilité si elle peut prouver qu'elle a pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher que soit commises des violations.

Quels acteurs pour quels enjeux?

L'initiative est portée par de nombreuses personnalités et organisations de la société civile et des mondes de la politique et de l’économie ainsi que des églises, mais aussi par un certain nombre d'entreprises ayant soutenu les initiant·e·s lors de la récolte de signatures. Plus de 110 organisations de la société civile soutiennent aujourd’hui l’association, dont humanrights.ch. L'initiative pour des multinationales responsables se heurte toutefois à la résistance d’associations économiques. Ses détracteur·trice·s font valoir que l’obligation de diligence et les règles de responsabilité limiteraient la compétitivité des entreprises suisses de manière trop importante à l'échelle mondiale. Toutefois, un rapport explicatif commandé par les initiant·e·s montre que la réglementation prévue par l’initiative ne va pas plus loin que les réglementations déjà existantes à l’étranger. Le droit procédural suisse, peu favorable aux plaignant·e·s, constituerait par ailleurs une difficulté supplémentaire pour les plaintes venant de l’étranger.

Dans son message, le Conseil fédéral affirme qu’il «partage les buts de l’initiative sur le fond», mais considère que l'initiative va trop loin et souhaite continuer à s'en tenir à la stratégie d'autorégulation des entreprises. Les deux chambres du Parlement et les commissions juridiques compétentes négocient actuellement un contre-projet indirect - bien plus limité que l’initiative - dans le cadre de la révision du droit de la société anonyme

Aujourd’hui des principes et lignes directrices non contraignants...

L'initiative pour des multinationales responsables est basée sur les «Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme», dits «principes de Ruggie», adoptés en 2011, qui recommandent une combinaison intelligente de mesures volontaires et de mesures juridiquement contraignantes. L’obligation de diligence raisonnable et la responsabilité des entreprises y sont notamment prévues. Ces principes directeurs ont suscité une dynamique dans le monde entier: pas moins de 25 États travaillent actuellement à l'élaboration de plans d'action nationaux afin de mettre en œuvre ces principes.

En Suisse, un plan d'action national sur la mise en œuvre des Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme a été lancé le 9 décembre 2016. Il souligne que le respect des droits humains et des normes environnementales constitue une importante responsabilité portée par les entreprises suisses à travers leurs activités économiques en Suisse et à l'étranger. Toutefois, il ne fait pas mention d’obligations juridiquement contraignantes. Les Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales constituent le second pilier des principes directeurs pour les entreprises. Ils ancrent le principe de responsabilité des entreprises sans pour autant l’appuyer sur un mécanisme contraignant. Les États membres de l'OCDE, dont fait également partie la Suisse, se sont engagés à mettre en place des «Points de contact nationaux» pour aider les entreprises à appliquer ces normes. La Suisse dispose d'un «Point de contact national» intégré au SECO.
L'OCDE propose également des lignes directrices pour différents secteurs économiques, notamment ceux dont le risque de violations des droits humains et des normes environnementales est particulièrement élevé.
En mars 2016, le Conseil de l'Europe a adopté des recommandations visant à promouvoir la mise en œuvre des Principes directeurs des Nations Unies en favorisant notamment l’introduction auprès des États membres de l’obligation de responsabilité civile et de diligence raisonnable en cas de violations des droits humains par les entreprises. En juin 2017, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU a publié le General Comment n°24 dans lequel il déclarait que l'obligation légale de diligence raisonnable pour les entreprises était contraignante pour les États membres du Pacte I de l’ONU, dont fait partie la Suisse.

Demain de vraies obligations?

Au-delà de ces principes non contraignants, de nombreux efforts sont déployés à l’international aussi pour imposer des obligations contraignantes aux entreprises. Depuis 2015, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU travaille à l'élaboration d'une convention des Nations Unies sur le thème «entreprises et droits humains».
Plusieurs États ainsi que l'Union européenne ont déjà introduit des obligations de diligence raisonnable contraignantes pour les entreprises, ou ont enclenché le processus parlementaire sur le sujet. Aux États-Unis, ces obligations sont prévues par la loi Dodd-Frank (section 1502). La Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, promulguée en France en 2017, réglemente également les obligations de diligence des entreprises et prévoit des règles de responsabilité pour certaines infractions.
La démarche de l'initiative pour des multinationales responsables s’inscrit donc dans une évolution juridique internationale.

Des violations des droits humains dans tous les secteurs

De nombreuses entreprises affichent leur adhésion aux principes des droits humains et publient des rapports détaillés sur le sujet. Une étude publiée par «Pain pour le prochain» et «Action de Carême» montre cependant que plus de 60% des 200 plus grandes entreprises suisses interrogées ne disposent d’aucun code de conduite en matière de droits humains.

Les preuves de violations des droits humains commises par des entreprises basées en Suisse sont nombreuses. Le comité d'initiative pour des multinationales responsables et Multiwatch en ont dressé une liste détaillée
On y réalise qu’aucun secteur économique n’est épargné et que certains, tel le secteur des matières premières, comportent un haut risque de violation des droits humains. L’exemple de Glencore, qui empoisonne les alentours de sa mine en Zambie avec du dioxyde de soufre depuis plus de vingt ans – est particulièrement connu, mais ce n’est pas le seul. Certaines entreprises raffinent ainsi de l'or provenant de la République démocratique du Congo, et participent donc indirectement à la guerre civile sanglante qui y fait rage.

L'exportation de pesticides interdits en Suisse vers divers pays en développement et émergents par Syngenta, la multinationale agroalimentaire, constitue un autre exemple de violations des droits humains: les populations locales sont exposées à des substances toxiques dont il a été prouvé qu'elles causent la mort ou de graves problèmes de santé.
Enfin, ce sont pour la plupart des entreprises ayant leur siège en Suisse qui sont responsables de l'exploitation d'enfants travaillant dans les plantations de coton ou de cacao.

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