02.12.2024
Les procès de militant·e·x·s climatiques et de personnes engagées dans les luttes antiracistes et féministes se multiplient. Les activistes pacifiques font face à la justice tant sur le plan cantonal que fédéral, risquant parfois la prison ferme. Les nombreuses condamnations, le durcissement des mesures de répression, mais aussi le caractère préventif des réglementations limitent le droit à manifester pacifiquement et provoquent un effet dissuasif qui menace la liberté d’expression.
Condamnations après la parodie d'une partie de tennis et un sit-in dans les locaux d’une banque, du blocage symbolique de l’entrée d'un centre commercial lors du Black Friday ou de la participation à une manifestation contre l'évacuation d'une zone à défendre (ZAD); restrictions et répression de manifestations non violentes, criminalisation de l’aide aux personnes sans statut légal; la répression de ces actions citoyennes reste forte en Suisse, du fait notamment des régimes subordonnant à l'obtention d'une autorisation la tenue de toute manifestation pacifique, d’une surveillance et des mesures préventives élargies et des sanctions disproportionnées infligées aux activistes pacifiques. Le droit international et les garanties constitutionnelles protègent pourtant le droit à manifester pacifiquement, valeur cardinale dans une société démocratique.
Trois Rapporteur·euse·x·s spéciaux·ale·x·s de l’ONU sur le droit de réunion pacifique, la liberté d’expression et sur un environnement sain ont fait part de leurs préoccupations à ce sujet aux autorités suisses en novembre 2021, et la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a exhorté ses membres en juin 2023 de cesser la répression des manifestations pacifiques en faveur de l'environnement.
La désobéissance civile criminalisée…
La désobéissance civile est un acte public et non violent qui implique d’enfreindre intentionnellement une loi nationale afin de défendre les droits humains. Elle est protégée par les libertés d’expression et de réunion pacifique garanties par le Pacte II de l’ONU et par les articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme. En tant qu'expression d'une conviction, elle peut aussi être protégée par la liberté de conscience et de croyance (art. 9 CEDH).
En Suisse, la désobéissance civile n’existe pas comme notion juridique en tant que telle; si les éléments constitutifs d’une infraction sont remplis, il existe un risque de poursuite pénale. Des actions militantes peuvent ainsi constituer aux yeux de la justice des infractions telles que la violation de domicile (art. 186 CP), l’empêchement d’accomplir un acte officiel (art. 286 CP), l'entrave aux services d'intérêt général (art. 239 CP), l’insoumission à une décision de l’autorité (art. 292 CP) et des contraventions à la loi sur la circulation routière, aux législations régissant le domaine public ou aux lois et règlements de police, au gré de la créativité des autorités de poursuite pénale.
… alors que le droit à manifester est protégé
Une manifestation peut être appréhendée comme un rassemblement non violent de personnes qui a pour objectif l’expression d’opinions. Elle peut s’exercer dès que deux personnes entreprennent une action, sur place, à distance ou en ligne, de manière statique ou mobile, et peut être organisée ou spontanée. La tenue d'une manifestation est protégée par les libertés d'expression et de réunion (art. 10 et 11 CEDH). La présomption de son caractère pacifique de toute manifestation implique que les participante·x·s doivent être protégé·e·x·s même si des actes de violences isolées se produisent. En droit international, une manifestation ne saurait être soumise à l'exigence d'une autorisation préalable des autorités, car cela viderait de son sens le droit de protester. Le droit international ne connaît donc pas la notion, erronée, de manifestation illégale ; celle-ci devrait pouvoir avoir lieu sans nécessiter une autorisation. La participation à une manifestation, même si elle n'a pas fait l'objet d'une autorisation préalable, ne peut pas justifier de sanctions pénales (Observation générale no 37; lignes directrices du BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise). En ce qui concerne le contenu, tout message est protégé tant qu’il ne s’agit pas d’un appel à la haine, à la violence ou à l'intolérance. Les contre-manifestations sont également protégées.
Les droits de réunion et de manifestation découlent de la liberté de réunion pacifique et de la liberté d’expression et sont garantis dans la Constitution fédérale (art. 16 et 22 Cst.) ainsi que par les instruments fondamentaux de protection des droits humains, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 19 et 21 Pacte II) et la Convention européenne des droits de l’homme (art. 10 et 11 CEDH), mais aussi par les constitutions cantonales. Les obligations des Etats sont précisées dans des instruments internationaux comme la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme de l’ONU. Dans son Observation générale no 37 sur le droit de réunion pacifique (art. 21), le Comité des droits de l’homme de l’ONU clarifie les obligations des Etats. En vertu de leurs obligations positives, les Etats doivent en particulier faciliter la tenue de manifestations et prendre toutes les mesures requises pour en assurer le bon déroulement. Leurs obligations négatives consistent, elles, à s’abstenir de toute intervention injustifiée, notamment en laissant le libre choix de l’objectif ou de l’opinion à véhiculer; le choix de principe de l’heure, du lieu et des modalités de la manifestation et en ne fixant pas de restrictions illégitimes de ceux-ci; ne prononçant pas d’interdiction ou de dispersion sans raison impérieuse; et n’infligeant pas de sanctions sans motif valable. La participation à une manifestation non autorisée n'est pas punissable. Même plus, la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme de l’ONU prévoit par ailleurs que les défenseur·euse·x·s des droits humains soient appuyé·e·xs et protégé·e·x·s, notamment en ce qui concerne le droit de se réunir et de se rassembler pacifiquement.
Nombreuses arrestations, restrictions et condamnations au niveau cantonal
Les activistes pacifiques se retrouvent traité·e·x·s de manière différente par la justice selon les cantons et les instances; si certains cas se soldent parfois par des allègements de peines, les tribunaux, régulièrement, ne reconnaissent pas la protection des droits fondamentaux, ni la primauté du droit international et des droits fondamentaux sur le Code pénal, ni n'examinent si les conditions pouvant justifier des restrictions aux droits fondamentaux sont remplies. De plus, le mobile honorable n’est pas souvent retenu par les tribunaux.
La justice vaudoise a prononcé de nombreuses condamnations. En 2021, une quarantaine de militant·e·x·s opposé·e·x·s à l’extension de la carrière de ciment d’Holcim occupant pacifiquement la zone du Mormont pour protester contre son évacuation ont été inculpé·e·x·s pour violation de domicile, et plusieurs se sont vu·e·x·s infliger par ordonnance pénale des peines de prison ferme, sanctions ne tenant pas compte des droits fondamentaux, ni du fait que les actes n’ont pas entraîné de dommages permanents, ni même de perturbations majeures. Après être parvenu·e·x·s, par une procédure jusqu'au Tribunal fédéral, à obtenir le respect de leur droit fondamental d'accès à un·e·x juge pour contester ces ordonnances pénales, certain·e·x·s des prévenu·e·x·s jugé·e·x·s par le Tribunal d'arrondissement de Nyon ont écopé de jours-amendes avec sursis, bien que le Procureur général du canton de Vaud réclamait des peines de prison ferme. Ces condamnations ont été confirmées par le Tribunal cantonal. D'autre·x·s ont toutefois été acquitté·e·x·s, totalement ou partiellement, par le Tribunal d'arrondissement de Nyon. Si le tribunal cantonal vaudois a reconnu que l’action de certain·e·x·s activistes était guidée par un mobile honorable, les juges ont estimé que la sauvegarde de l’environnement ne devait pas nécessairement passer par une infraction.
Entre 2019 et 2023, plus d'une centaine de manifestant·e·x·s ont été convoqué·e·x·s par la justice vaudoise pour répondre du fait d'avoir simplement participé à des manifestations sur le domaine public les 20 et 27 septembre 2019 et 14 décembre 2019, au seul motif que celles-ci n'avaient pas fait l'objet d'une autorisation formelle. Avec cette série de procès individuels, appelée «Procès des 200», les autorités ont renoncé à un procès collectif qui aurait permis de juger l’action militante en tant que telle. Deux médecins ayant participé à l’action ont critiqué l'inaction des autorités, sourdes «aux messages d'alerte» des scientifiques agissant dans un but d’utilité publique et se heurtant à une répression de la part des autorités.
Amendées pour avoir manifesté seins nus à Lausanne lors de la Journée internationale des femmes du 8 mars 2021, six femmes ont écopé d’une ordonnance pénale les condamnant à payer 300 francs d’amende, 60 francs de frais administratifs et 200 francs de frais d’intervention pour avoir enfreint l’interdiction de manifestation ordonnée par le Conseil fédéral dans le contexte de lutte contre le Covid-19, mais aussi pour «trouble à la tranquillité publique» et pour «habillement contraire à la décence ou à la morale publique».
Si la justice genevoise a annulé en appel les condamnations pénales et les contraventions d’un activiste climatique en 2020, elle a plus récemment confirmé la détention provisoire d’un autre militant.
Les arrestations concernent également les cantons alémaniques: 54 des 83 activistes climatiques qui avaient bloqué les entrées des sièges de Crédit Suisse à Zurich et d'UBS à Bâle ont été condamné·e·x·s par ordonnance pénale, pour contrainte ou pour violation de domicile.
Malgré quelques décisions positives après recours
Le Tribunal fédéral a contredit à plusieurs reprises des jugements des instances cantonales à la suite de recours introduits par les activistes. En juillet 2022, la Haute Cour a annulé la condamnation par le Tribunal cantonal vaudois de deux militants du climat à des peines pécuniaires avec sursis alors qu’ils participaient à une manifestation à Lausanne en 2019 au motif de violations de dispositions procédurales. Les juges de Mon Repos ont également confirmé en décembre 2022 l'acquittement de onze activistes du climat qui avaient participé à un sit-in en marge d'une manifestation à la mi-mars 2019 à Genève. Un activiste climatique qui avait fait recours contre l'arrêt de la cour cantonale vaudoise pour avoir traité son appel en procédure écrite a obtenu gain de cause par le Tribunal fédéral, qui a rappelé dans un arrêt du 16 août 2022 que les procès en appel des activistes du climat doivent être publics. Le Tribunal fédéral a par ailleurs désavoué le Ministère public vaudois, qui voulait interdire l'accès à un·e·x juge et le droit de contester les ordonnances pénales qu'il avait rendues aux zadistes ayant refusé de révéler leur identité aux autorités de poursuite pénale. Dans plusieurs arrêts rendus en octobre 2023, la Haute Cour a confirmé son premier jugement, selon lequel la décision vaudoise avait violé le droit fondamental à un procès équitable. Enfin, la Haute Cour a ordonné la destruction du profil ADN et d’empreintes digitales d’activistes climatiques à l’origine du barrage symbolique d’une banque bâloise en 2019, estimant que cette mesure était disproportionnée et ne se justifiait pas, car la personne contre laquelle elle avait été prononcée avait simplement participé à une manifestation pacifique durant laquelle elle n’avait commis aucun acte de violence. Le 21 novembre 2024, le Tribunal fédéral a refusé d'entrer en matière sur le recours du Ministère public vaudois dans l'affaire des activistes du climat qui avaient mené une action dans une succursale d'UBS à Lausanne, considérant que ce dernier n'avait pas la qualité pour recourir. Le ministère public ne peut en effet pas se substituer à UBS et créer un intérêt virtuel pour poursuivre pénalement les activistes.
Le Tribunal fédéral a toutefois confirmé d'autres condamnations de militant·e·x·s par les tribunaux cantonaux, en rejetant notamment le recours d’activistes climatiques qui avaient écopé de peines pécuniaires avec sursis par la justice vaudoise et d'importants frais de justice pour avoir occupé une succursale de Crédit Suisse en novembre 2018. Il a également confirmé la condamnation d’une défenseuse des droits humains pour avoir facilité l'entrée illégale d’un étranger en Suisse, ne retenant aucun mobile honorable.
Certain·e·x·s activistes pacifiques ont par ailleurs eu gain de cause après avoir fait recours au niveau cantonal. Dans le cas du «Procès de Renens», seules cinq personnes ont bénéficié d'un acquittement sur la moitié de celles ayant déjà été jugées. Quant aux activistes féministes ayant manifesté seins nus, la justice vaudoise n’a pas retenu les notions de décence et de trouble à la tranquillité, mais les a condamnées à une amende pour avoir participé à une manifestation interdite de plus de 15 personnes sur l'espace public.
Des règlements toujours plus durs pour les manifestations
La liberté de réunion et de manifestation est également menacée par des législations restrictives. Relevant d’une compétence cantonale, les conditions que veulent imposer les législations cantonales au droit de manifester diffèrent sur le territoire suisse, mais la tendance au durcissement est généralisée.
Le régime d’autorisation constitue un fardeau très lourd pour les organisateur·trice·x·s, qui contrevient aux engagements internationaux de la Suisse. De nombreux critères doivent être remplis pour que l'autorisation d’organiser une manifestation soit accordée. En 2012, le canton de Genève introduisait l’obligation de l’autorisation préalable et la mise en place d’un service d’ordre par les organisateur·trice·x·s, qui est aujourd’hui également imposée dans plusieurs autres cantons (Vaud, Fribourg, Zurich, Jura). En 2021, l’autorisation accordée au collectif de la Grève féministe Vaud conditionnait la tenue de la manifestation à la garantie d’un service d’ordre d’une centaine de personnes, au contrôle du contenu des pancartes ou à la responsabilité pour toute action non prévue par les organisatrices. Les organisateur·trice·x·s de la manifestation contre la Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (LMPT) à Lausanne se sont également vu·e·x·s imposer des conditions similaires, dont l’effet est largement dissuasif. Ce climat répressif et les demandes irréalistes des autorités sont dénoncées par le collectif vaudois «Prenons la rue!». Enfin, dans le canton de Zurich, l'initiative «pour le respect du droit et de l'ordre» demande que les coûts d’éventuels dommages matériels ou des interventions de la police soient pris en charge par les organisateur·trice·x·s des manifestations.
Les amendes encourues en cas de non-respect de ces conditions sont elles aussi dissuasives. En 2019, le canton de Berne adopte dans son règlement de police la répercussion des frais sur les organisateur·e·x·s pour les actes de violence commis par des tierces personnes lors de manifestations, faisant ainsi planer la menace financière sur les organisateur·trice·x·s. Dans un arrêt faisant suite à un recours concernant cette révision de la loi bernoise sur la police, le Tribunal fédéral a toutefois considéré que la liberté d’expression et de réunion n’était pas compromise par cette nouvelle disposition, et que celle-ci ne provoquait pas de «chilling effect».
L’interdiction générale de manifester pour des motifs liés à la pandémie décrétée par le Conseil fédéral a par ailleurs été jugée disproportionnée en mars 2022 par la Cour européenne des droits de l’homme, qui a estimé qu’elle violait la liberté de réunion pacifique (art. 11 CEDH) et a rappelé qu’une manifestation pacifique ne devait pas faire l’objet d’une menace de sanction pénale.
Menaces physiques, fichage et surveillance
Les tactiques de répression utilisées par la police laissent planer des inquiétudes sur les menaces physique encourues par les activistes: en mars 2023, la police bâloise a tiré des balles en caoutchouc sur des manifestant·e·x·s pacifiques pendant la Journée internationale des droits des femmes au motif que l’action n’était pas autorisée.
Les activistes sont également concrètement menacé·e·x·s de fichage par les autorités de poursuite pénale qui peuvent ordonner le prélèvement des données signalétiques ou d’échantillons d’ADN voire l’établissement d’un profil ADN et qui le pratiquent. Ces mesures de contrainte ont notamment été utilisées dans le cadre de l’évacuation de la ZAD du Mormont ainsi que du blocage symbolique d’une banque bâloise en 2019. Dans cette affaire, le Tribunal fédéral avait toutefois ensuite ordonné sur recours la destruction du profil ADN et des empreintes digitales des activistes climatiques relevées par la police cantonale, ayant considéré qu'il s'agissait d'une manifestation pacifique et que ces mesures de contrainte ne sont pas proportionnées lorsqu’il n’existe aucun indice sérieux et concret quant à la commission antérieure ou future d’une infraction par la personne prévenue.
La surveillance dans l’espace public porte également atteinte à la vie privée et menace les droits à la liberté de réunion et d’expression. À Genève, des grévistes du climat auraient été reconnu·e·x·s sur la base de vidéos tournées lors de la manifestation que des agent·e·x·s de la Brigade de recherche et d’îlotage auraient consultées. La Suisse ne connaît pas de réglementation spécifique en matière de systèmes de reconnaissance faciale, et des enquêtes ont démontré que la police suisse utilise déjà certains logiciels controversés. Or il est à craindre que la peur du fichage empêche les personnes d’exercer leurs droits fondamentaux. Le Tribunal fédéral a toutefois abrogé des dispositions de la loi bernoise sur la police relatives aux instruments de surveillance dont le canton de Berne voulait doter la police sans autorisation judiciaire.
Accès à la justice: une difficulté supplémentaire pour les activistes
Les personnes interpelées doivent faire face aux difficultés propres à la procédure pénale telles que les ordonnances pénales ainsi que la détention provisoire et pour des motifs de sûreté. Pour contester leurs peines souvent disproportionnées, les activistes font se voient contraintes de faire toujours davantage recours; or, le chemin est loin d’être facile.
En Suisse, le procès pénal représente l’exception: 90% des peines ne sont plus prononcées par un tribunal, mais directement par le Ministère public par le biais de l’ordonnance pénale. Le caractère superficiel et la brièveté de la procédure inhérents à celle-ci représentent une atteinte aux principes fondamentaux de procédure pénale. Aussi, les activistes rencontrent de sérieux obstacles quant à leur possibilité de former opposition, sans parler des frais de justice engagés notamment pour leur défense.
Les zadistes du Mormont qui avaient refusé de fournir des documents d’identité n’ont par exemple pas eu la possibilité de s’opposer à leur condamnation. Les échantillons d’ADN recueillis sur les prévenu·e·x·s étaient considérés valables pour l’ordonnance pénale, mais pas pour l’opposition à celle-ci, ce qui représente une violation du principe fondamental du droit à un procès équitable. Les zadistes resté·e·x·s inconnu·e·x·s avaient toutefois eu ain de cause au Tribunal fédéral. Le Tribunal fédéral avait cité un «formalisme excessif» de la part des instances inférieures et protégé leur droit de voir leur cause jugée par un·e·x ·juge. Les juges de la Haute Cour ont toutefois déclaré irrecevables les recours des deux activistes qui demandaient à être indemnisés après le prélèvement de leur ADN en vue de leur identification, après la suppression de ces prélèvements.
De plus, même lorsque les activistes ont gain de cause et voient leurs sanctions réduites par le tribunal à la suite de leur opposition, celui-ci met à leur charge des centaines, voire des milliers de francs de frais judiciaires. Ces frais additionnels excèdent souvent, si ce n'est toujours, la réduction de la peine effectivement obtenue, réduisant à néant l'intérêt effectif à l'appel.
Des mesures préventives renforcées
L’adoption de la Loi sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (LMPT) représente une menace supplémentaire pour les activistes. Cette nouvelle loi fédérale renforce massivement les compétences de l’Office fédéral de la police, lui permettant de qualifier de terroristes «des actions destinées à influencer ou à modifier l'ordre étatique et susceptibles d'être réalisées ou favorisées par des infractions graves, la menace de telles infractions ou la propagation de la crainte». La Commission de la politique de sécurité du Conseil national a refusé la motion qui proposait de préciser cette notion pour exclure de la définition les militant·e·x·s politiques, laissant ainsi planer une menace sur les mouvements sociaux. La loi prévoit également d’appliquer les mesures dès l’âge de 12 ans, une limite d’âge qui entre cependant en contradiction avec le droit pénal des mineur·e·x·s et les obligations internationales de la Suisse en matière de droits de l’enfant. Les mouvements constitués essentiellement de jeunes, tels que Swiss Youth for Climate, pourraient être particulièrement touchés à l’avenir.
L’activisme climatique suscite l’intérêt du Service de renseignement de la Confédération (SRC): son rapport 2023 indique (p. 50) que des cas d’activistes du climat «en lien avec de la violence» font l’objet d’un suivi par le SRC.
Enfin, l’initiative sur l’interdiction de se dissimuler le visage dans l’espace public acceptée le 7 mars 2021 a également des effets sur l’exercice de la liberté d’opinion et de réunion par les activistes. Le projet de loi prévoit que l’autorité compétente puisse autoriser la dissimulation du visage «à condition que la sécurité et l’ordre publics ne soient pas compromis» (art. 2 al. 3 LIDV), ce qui laisse la porte ouverte à l’interprétation.
Les instances internationales de protection de droits humains inquiètes
Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a rappelé en juillet 2020 que la désobéissance civile non violente est protégée par le droit de réunion pacifique. Son rapporteur Christof Heyns a critiqué les restrictions générales concernant la participation à des rassemblements pacifiques et précisé que toute restriction à la participation à des réunions pacifiques doit être fondée sur une évaluation différenciée ou individualisée de la conduite des participant·e·x·s. Il a rappelé aux gouvernements qu’ils doivent autoriser les personnes participant à des rassemblements à porter un masque ou une cagoule pour se couvrir le visage et qu’ils ne doivent pas recueillir de données personnelles pour harceler ou intimider les participant·e·x·s.
Lors des débats au Comité des droits de l’homme en amont, les intervenant·e·x·s ont fait remarquer que, du point de vue juridique, le terme «pacifique» était ambigu et pouvait donner lieu à une interprétation étroite par les États qui souhaiteraient limiter la portée de ce droit; aussi ces spécialistes ont recommandé au Comité d’adopter une interprétation large du terme et exclure uniquement les cas dans lesquels il existe une preuve claire et convaincante de l'intention des manifestant·e·x·s de se livrer à la violence.
Selon le Comité, les technologies de surveillance de masse dans l’espace public, de plus en plus utilisées en Europe, constituent une menace pour les activistes pacifistes, ainsi que pour toute personne souhaitant se rendre à une manifestation. Ses membres ont fait part de leur inquiétude quant à l'impact de l'utilisation de technologies telles que les caméras de reconnaissance faciale, ou le système IMSI de localisation des personnes, ainsi que les renseignements recueillis par les médias sociaux sur le droit de réunion pacifique, en particulier leur effet dissuasif sur l'exercice de ce droit et le manque de réglementation qui peut conduire à une surveillance sans garde-fous.
Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a également fait part de ses inquiétudes en juin 2023, et rappelé que les États membres doivent se garder de la tentation d'adopter des lois qui pourraient conduire à de nouvelles restrictions de ces droits. Selon lui, la violence à l'encontre des participants pacifiques aux manifestations en faveur de l'environnement, en particulier, ne doit pas être tolérée. Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, aux lignes directrices de la Commission de Venise et de l'OSCE/BIDDH sur la liberté de réunion pacifique et à ses recommandations antérieures, le maintien de l'ordre pendant des réunions publiques doit être conforme aux droits humains.
Enfin, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU a rappelé dans une déclaration commune que les États doivent protéger les rassemblements pacifiques dans les situations d'urgence également.
Informations complémentaire
- Désobéir pour la Terre – une défense de l’état de nécessité
Livre sous la direction de Dominique Bourg, Clémence Demay, Brian Favre, mai 2021
- Le TF rejette le recours d’Anni Lanz
Article du Temps, août 2020
- La Liberté de manifester – un instrument essentiel pour les droits humains
Article d’Amnesty international, janvier 2020