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La religion à l’école

07.12.2023

En Suisse, le débat public portant la liberté de religion des enfants, des tuteur·trice·x·s et des enseignant·e·x·s dans les écoles publiques est courante. Les juridictions considèrent le plus souvent qu’il est légitime de restreindre la liberté religieuse dans le cadre scolaire.

En Suisse, les écoles publiques sont tenues de respecter le principe de neutralité religieuse. La Constitution fédérale de 1874 (art. 27, al. 3) stipulait encore de manière explicite que les écoles publiques devaient pouvoir être fréquentées par les «adhérents de toutes les confessions sans qu’ils aient à souffrir d’aucune façon dans leur liberté de conscience ou de croyance». Le devoir de neutralité des écoles publiques n’est certes plus explicitement inscrit dans la Constitution fédérale remaniée de 1999, mais il continue de découler juridiquement de la liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.) et de l’interdiction de discrimination (art. 8 al. 2 Cst.).

De même, la neutralité confessionnelle des écoles publiques est inscrite dans plusieurs constitutions cantonales, tandis que des références au christianisme continuent de figurer dans les lois cantonales sur l’éducation. Ainsi, la Constitution zurichoise et la loi cantonale sur l’éducation (art. 4) stipulent par exemple que les écoles publiques sont tenues d’être neutres sur le plan confessionnel et politique. Parallèlement, l’article 2 de la loi zurichoise sur l’école stipule que cette dernière vise à instaurer un comportement «orienté vers les valeurs chrétiennes, humanistes et démocratiques», ceci en tenant compte des minorités ainsi que de la liberté de croyance et de conscience. La jurisprudence considère que cette référence directe au christianisme s’apparente à une tradition culturelle.

Conflits en raison de la présence de symboles religieux dans les écoles publiques

L’interdiction de toute contrainte liée à la liberté de conscience et de croyance (liberté religieuse négative, art. 15 Cst.) occupe une place particulièrement importante dans l’enseignement primaire obligatoire: les élèves ne doivent être soumis·e·x·s à aucune contrainte idéologique ou religieuse à l’école. Par conséquent, selon la jurisprudence récente du Tribunal fédéral, les enseignant·e·x·s employé·e·x·s par l’État doivent adopter une posture de neutralité religieuse, leur liberté de religion individuelle pouvant ainsi être limitée.

Le Tribunal fédéral juge que les voiles portés dans les écoles publiques sont des symboles religieux, mais règle la question de l’admissibilité de manière différente lorsqu’il s’agit d’élèves ou d’enseignant·e·x·s. En 1997, il a décrété que l’interdiction pour une enseignante de porter un voile pendant les cours portait certes atteinte à sa liberté de religion, mais qu’elle était admissible (ATF 123 I 296). L’enseignante représente en effet la neutralité de l’école publique sur le plan religieux, et les élèves de l’école primaire, qui est obligatoire, sont influençables et ne sont pas encore en mesure de percevoir ce que le voile représente par rapport à des élèves plus âgés. L’enseignante a contesté le jugement devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui a rejeté la plainte (requête n° 42393/98). En effet, la Cour a estimé que la restriction de la liberté de religion était conforme à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. La société civile considère que le fait d’exclure les personnes portant le voile de certaines professions manifeste un racisme structurel.

Le Tribunal fédéral a toutefois estimé, dans le cas d’une élève à qui l’école prévoyait d’interdire le port du voile, que l’atteinte à la liberté de conscience et de croyance était inadmissible (ATF 2C_121/2015). Cette décision est fondée sur l’absence d’intérêt public, ainsi que sur le constat que le port du voile ne perturberait pas les cours. Deux ans plus tôt, en 2013, le Tribunal fédéral était déjà revenu sur la décision d’une commune de Thurgovie interdisant à deux élèves de porter leur voile à l’école. Selon les juges, un règlement scolaire ne représente pas une base juridique suffisante pour imposer une interdiction du port du voile (ATF 2C_794/2012). Dans une prise de position de juin 2011, la Commission fédérale contre le racisme a alors rappelé que «les élèves sont des personnes individuelles dont la sphère privée et la liberté de religion doivent être respectées autant que possible. (...) L’école doit en principe respecter le droit des parents en matière d’éducation religieuse de leurs enfants, et ce jusqu’à leur majorité religieuse (art. 303, al. 1 et 3 du Code civil), pour autant que les droits fondamentaux de l’enfant et le bien de l’enfant ne soient pas lésés et que le fonctionnement de l’école ne soit pas perturbé».

Outre les voiles, d’autres symboles considérés comme religieux sont également présents dans les écoles. Dans l’affaire Lautsi et autres contre l’Italie (2011), les juges de la Cour européenne des droits de l’homme ont déclaré que le voile était un symbole religieux fort, son caractère religieux étant actif, contrairement au crucifix, qui constituerait un symbole religieux passif. Cette appréciation controversée des symboles religieux a conduit le tribunal à obliger l’installation de crucifix dans toutes les écoles publiques italiennes. Le Tribunal fédéral a quant à lui déclaré en 1990 (ATF 116 Ia 252) qu’aucun crucifix ne pouvait être suspendu dans les salles de classe des écoles publiques par une décision de l’État, car cela serait contraire à la neutralité religieuse de l’école (art. 27, al. 3, Cst.). En Suisse, des crucifix sont néanmoins toujours suspendus dans de nombreuses salles de classe: leur retrait ne peut être discuté qu'en cas de dépôt d’une plainte.

Dispenses de cours

Conformément aux réglementations cantonales, il n’est pas possible en Suisse de bénéficier de dispenses de certaines matières scolaires pour des raisons religieuses ou philosophiques. Hormis ces cas, les responsables légaux·ale·x·s sont en droit de demander une dispense de cours pour les fêtes religieuses et les jours fériés. La pratique juridique considère que la mission d’intégration de l’école prime en principe sur la liberté de religion et les possibles restrictions des droits fondamentaux sont alors considérées comme proportionnées.

En 2008, le Tribunal fédéral est revenu sur sa pratique juridique concernant la dispense de cours de natation mixtes pour motifs religieux (ATF 135 I 79). Alors qu’il jugeait auparavant que la dispense des cours de natation était admissible (ATF 119 IA 178 ss.), il estime désormais que le rejet de la dispense représente une atteinte à la liberté de religion, mais pas une violation de son essence. De plus, la Cour estime que l’éducation favorisant l’égalité de traitement entre les sexes constitue un intérêt public. Ce changement de pratique découle également de la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant, ratifiée par la Suisse en 1997. En 2012, la jurisprudence du jugement de 2008, qui concernait initialement deux garçons, a également été explicitement appliquée aux filles en 2012. Cette décision a également été soutenue par la Cour européenne des droits de l’homme en 2018, qui, la même année, a également considéré que le refus de la dispense des cours d’éducation sexuelle était conforme à la Convention européenne des droits de l’homme.

Enseignement religieux, enseignement religieux et écoles privées religieuses

La discipline «Religions, cultures, éthique» a fait son apparition avec le Lehrplan 21 (plan d’études alémanique), visant à rapprocher les systèmes scolaires réglementés par les cantons (art. 62 Cst.). Selon ce plan, les matières scolaires dans lesquelles les religions sont enseignées (teaching about religion) pourraient devenir obligatoires, à condition qu’elles soient enseignées de sorte à rester neutres sur le plan idéologique et n'orientent pas les élèves vers une religion particulière. Les différences régionales dans la conception de l’enseignement religieux et l’adoption du Lehrplan 21 restent toutefois significatives.

Un enseignement religieux (teaching in religion) transmettant aux élèves une certaine attitude intérieure à la religion doit rester facultatif (art. 15, al. 4 Cst.). En vertu du principe de liberté religieuse négative, personne ne devrait en effet être contraint de suivre un enseignement religieux. Conformément au principe de liberté religieuse positive, toute personne a néanmoins également le droit de suivre un enseignement religieux si elle le désire (art. 15, al. 3 Cst.). Dans la plupart des cantons, l’enseignement dispensé par des communautés religieuses reconnues de droit public peut se dérouler à l’intérieur des locaux scolaires et être adapté à l’horaire de l’enseignement primaire obligatoire. En revanche, les autres communautés religieuses sont tenues d’organiser leur enseignement religieux de manière privée.

En plus des écoles publiques, il existe en Suisse une grande offre d’écoles privées, dont des écoles catholiques, protestantes et juives. Ces écoles ne sont pas tenues à la neutralité confessionnelle, sont autorisées à dispenser un enseignement religieux obligatoire et proposent parfois des cours non mixtes. Étant donné que le canton confie une mission d’intérêt public aux écoles privées assurant l’enseignement primaire obligatoire, il lui est aussi possible de refuser l’autorisation nécessaire à cet effet. Ainsi, le Tribunal fédéral a décidé en 2003 qu’il était possible, du point de vue du droit constitutionnel, de refuser d’accorder l’autorisation d’exploiter une école privée à un organisme responsable proche de la scientologie (ATF 2P.296/2002).

Religion et conceptions de la «culture» et de la «tradition»

La forte tension entre la religion et les conceptions de la «culture» et de la «tradition» dans le contexte scolaire s’est par exemple manifestée en 2015 dans la commune de Therwil, dans le canton de Bâle-Campagne: deux élèves du secondaire ont refusé de serrer la main de leurs enseignantes pour des raisons religieuses. La direction de l’école a pris la décision que les deux élèves ne devaient plus serrer la main aux enseignants masculins non plus afin de garantir l’égalité.

Sur le plan des droits humains, un conflit s’est présenté entre le droit à l’égalité des femmes (art. 8, al. 3, Cst.) et le droit à la liberté de religion (art. 15 Cst.). Au regard des droits humains, il aurait été possible de restreindre la liberté de religion des deux élèves tant que les motifs étaient légitimes. Toutefois, dans le débat public, cette proposition a été assez rapidement écartée et les discussions ont porté non pas sur l’égalité, mais sur les valeurs culturelles.

Le service juridique du Département cantonal de l’éducation, de la culture et du sport ainsi que la direction de l’éducation du canton de Bâle-Campagne ont peu après estimé que ce compromis interne violait la loi et ont exigé que les élèves serrent de nouveau la main de tou·te·x·s les enseignant·e·x·s à l’avenir. Bien que les parents aient obtenu partiellement gain de cause après avoir fait recours auprès du Conseil d’État, l’obligation de répondre à une poignée de main a été considérée en principe comme admissible dans la mesure où il s’agit d’un geste habituel dans la société locale, qui est déjà enseigné aux jeunes enfants.

L’affaire a eu de nombreuses conséquences: après le débat public, la loi sur l’éducation du canton de Bâle-Campagne a connu quelques modifications, rendant obligatoire le signalement des élèves sans passeport suisse à l’autorité cantonale en charge de la migration en cas de problèmes importants liés à l’intégration (art. 5, al. 1bis). La demande de naturalisation de la famille a par ailleurs été suspendue sans explication. La «culture suisse et ses valeurs» ainsi que la «place de l’islam dans l’intégration» ont fait l’objet du débat médiatique très émotionnel qui a résulté de cette affaire.

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