humanrights.ch Logo Icon

Religions, fuite et asile

12.12.2023

Les personnes persécutées par leur pays d’origine et contraintes de le quitter en raison de leur religion peuvent être reconnues comme «réfugiées» selon la Convention relative au statut des réfugiés (Convention de Genève). Il est très courant dans les pays d’origine que la liberté de religion soit restreinte et que l’appartenance religieuse fasse l’objet d’une instrumentalisation politique favorisant la persécution des personnes et des groupes religieux.

Les personnes appartenant à une minorité religieuse peuvent faire l’objet de persécutions ou de discriminations explicites en raison de leurs croyances individuelles ou de leur appartenance à un groupe. Cette menace peut provenir tant d’États autoritaires que de parties à des conflits, de terroristes ou de groupements extrémistes, d'autres communautés religieuses, de groupes sociaux ou encore de simples individus, tels que des personnes proches de la famille de la personne concernée. Dans les États du monde entier, les personnes de confession chrétienne et musulmane sont les plus exposées à des formes de persécutions et de discrimination au niveau social et politique.

Différentes formes de violences fondent la crainte de persécution en raison de l’appartenance religieuse: les agressions physiques, les arrestations arbitraires, la coercition, les menaces, voire les enlèvements et les homicides, ainsi que la dégradation voire la destruction des lieux de culte, des cimetières et du patrimoine culturel, mais aussi la conversion, la contraception ou encore le mariage forcés, ainsi que les restrictions d’accès à la citoyenneté, aux fonctions électives, au travail, à l’éducation, aux services de santé et aux services administratifs. Les violences verbales telles que les discours de haine – en ligne ou hors ligne – ou l’incitation à la violence peuvent également fonder des craintes de persécution.

Des restrictions imposées à des personnes ou des communautés religieuses par l’État

La fuite de personnes pour motifs religieux est également justifiée par le fait que l’État d’origine, de provenance ou de résidence ne garantit pas la liberté de religion. Celle-ci est menacée ou restreinte dans un pays sur trois dans le monde et touche plus de 5 milliards d’êtres humains.

L’organisme Pew Research Center étudie chaque année les restrictions imposées par l’État aux communautés religieuses et aux personnes croyantes du monde entier. En 2019, dans 29 % des 198 pays examinés, les gouvernements appliquaient des restrictions élevées envers certaines communautés religieuses. Dans 82 % des pays, l’État concerné était intervenu dans les affaires religieuses en interdisant certaines pratiques, en entravant l’accès aux sites religieux, en refusant d’accorder des autorisations relatives à certaines activités ou bâtiments religieux ou en interdisant les symboles religieux et les vêtements tels que les voiles couvrant le visage. Des restrictions s’appliquant à certaines religions ont également été identifiées et documentées en Suisse.

Selon le Pew Research Center, 91 % des pays étudiés ont connu en 2019 au moins un cas de menace et de discrimination de la part d’acteur·trice·x·s étatiques à l’encontre de groupes religieux ou de personnes croyantes. Ces cas englobent les incidents compliquant la vie ou la pratique de ces groupes ou individus, sous la forme de propos ou d’actes physiques et impliquant des acteur·trice·x·s étatiques tels que des politicien·ne·x·s. Durant la pandémie de Covid-19, le Rapporteur de l’ONU sur la liberté de religion a constaté l’apparition de restrictions gouvernementales supplémentaires concernant uniquement certaines minorités religieuses. Au Sri Lanka par exemple, la crémation est devenue obligatoire pour les personnes décédées du Covid-19, ce qui a empêché les personnes de confession musulmane d’être enterrées conformément à leur religion.

Enfin, au moins un cas de violence institutionnelle à l’encontre de groupes religieux est survenu dans 48% des pays étudiés. Ce type de violence comprend la dégradation de biens personnels, des faits d’emprisonnements, de recours à la violence physique, d’expulsions et de meurtres. Plus de 10 000 cas de violences commises par l’État à l’égard de minorités religieuses ont été enregistrés au Myanmar, au Soudan, en Syrie et en Chine.

Selon le Parlement européen, plus de 70 pays dans le monde disposent ou comptent se doter de lois prévoyant des peines pouvant aller jusqu’à la peine de mort pour le blasphème, l’abandon d’une appartenance religieuse ou la conversion. Si ces lois contre le blasphème peuvent avoir pour objectif de protéger les communautés religieuses et les sentiments religieux des individus, elles peuvent, dans certains pays, être utilisées pour persécuter les minorités religieuses. La Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) a confirmé la pénalisation des propos pouvant heurter les sentiments religieux. La Suisse prévoit également des sanctions pécunières pour incitation à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse, entre autres (article 261 du Code pénal). La légitimité de cette norme pénale est régulièrement sujette à discussion. En 2018, une motion a demandé la suppression du délit de blasphème, estimant que la norme pénale antiraciste et la protection contre l’atteinte à l’honneur et contre l’injure étaient suffisantes. Le Conseil fédéral s’est toutefois dit favorable au maintien de la disposition, en se référant au domaine unique de protection des sentiments religieux «afin de garantir la cohabitation pacifique des religions».

Instrumentalisation de l’appartenance religieuse et propos discriminatoires

Il n’est pas rare que l’appartenance religieuse soit instrumentalisée à des fins nationalistes, en qualifiant par exemple le rejet de la religion d’État comme un acte déloyal, et en utilisant l’appartenance à des communautés religieuses qui s’en éloignent comme prétexte à la persécution. En mars 2022, le Rapporteur spécial de l’ONU sur la liberté de religion ou de conviction affirmait que les acteur·trice·x·s étatiques et non étatiques s’appuient souvent en connaissance de cause sur les préjugés et les inégalités existant dans la société en matière de religion et les associent à la stigmatisation et à la discrimination des minorités pendant les crises afin de se justifier leurs propres actes. Le rôle de la religion peut également être instrumentalisé par les parties au conflit pour formuler des récits et promouvoir leur propre agenda politique.

Pendant la période du Covid-19, un grand nombre de fausses informations ont également été diffusées, faisant ainsi des minorités religieuses des boucs émissaires. La minorité religieuse des Hazaras au Pakistan a par exemple été rendue responsable de la propagation du Covid-19 et soumise à des restrictions spécifiques par l’État. En Inde, des politicien·ne·x·s de droite ont volontairement rendu les minorités musulmanes responsables de la propagation du Covid-19 sur les réseaux sociaux, entraînant par la suite une recrudescence des attaques contre les personnes de confession musulmane. Les déclarations antisémites et les théories du complot ont également connu une forte augmentation, en particulier en Europe et en Suisse, durant la pandémie.

Une discrimination multiple en cas de persécution religieuse

Dans un monde où les conflits et les crises se multiplient, les minorités religieuses sont souvent la cible de discriminations de plus en plus importantes, sans que leur identité religieuse n'en soit pour autant le facteur principal. La persécution ciblée des minorités religieuses s'explique souvent par la perception ou la supposition de l'existence d’une différence par les responsables des persécutions. De ce fait, des personnes qui ne définiraient pas leur propre mode de vie comme religieux, mais dont l’appartenance à une communauté religieuse est suspectée, peuvent également faire l’objet de persécutions par attribution.

En outre, les discriminations sociales et économiques dont souffrent déjà les minorités religieuses dans les situations de conflit peuvent s’accroître et renforcer leur vulnérabilité. Les membres des minorités religieuses font ainsi souvent face à des discriminations multiples; en raison de leur genre, certaines personnes sont plus susceptibles d’être victimes de persécutions religieuses, notamment à cause de codes vestimentaires ou de pratiques dangereuses pour la santé.

Appartenance religieuse et procédure d’asile

La Convention relative au statut des réfugiés (Convention de Genève) qualifie de «réfugiée» une personne qui, «craignant à juste titre d’être persécutées du fait de sa «race», religion, nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors de leur pays d’origine et du fait de cette crainte, ne peut ou ne veut pas réclamer la protection de ce même pays». Lorsque des personnes fuient par peur d’être persécutées à cause de leur religion, les autorités migratoires examinent, lors de la procédure visant à déterminer la qualité de réfugié, si les convictions et pratiques religieuses sont essentielles et indispensables pour la personne ayant déposé une demande d’asile. La preuve de ces attitudes et actions individuelles ne devrait pas entrer en ligne de compte. La Cour de justice européenne a confirmé qu’il n’est pas non plus admissible de demander aux demandeur·euse·x·s d’asile de pratiquer leur religion seulement dans le cadre privé afin d’échapper à d’éventuelles persécutions dans leurs pays d’origine.

Selon la Convention relative au statut des réfugiés (Convention de Genève), les personnes doivent bénéficier de l’asile dès qu’une crainte de persécution est attestée. Or l’interprétation faite par la pratique suisse est plus stricte et donc incompatible avec cette convention. En Suisse, pour qu’un statut de réfugié soit reconnu, les personnes fuyant les persécutions religieuses doivent prouver qu’elles sont persécutées de manière individuelle, le simple fait d’appartenir à une minorité religieuse victime de persécutions dans son pays d’origine ne suffisant pas à constituer un motif individuel de persécution. Il est presque impossible pour de nombreuses personnes en fuite d’apporter cette preuve. Elles n’obtiennent donc qu’une admission provisoire en Suisse.

Les personnes disposant d’un motif subjectif de fuite n’obtiennent pas non plus l’asile en Suisse, mais seulement une admission provisoire. La conversion une communauté religieuse persécutée dans le pays d’origine est considérée comme un motif subjectif de fuite si elle n’a eu lieu qu’après le départ du pays d’origine. En outre, la Suisse viole régulièrement le principe de non-refoulement, même pour les personnes ayant des motifs religieux de fuite, et cherche à expulser des personnes vers des États où elles craignent à juste titre d’être persécutées, torturées ou soumises à d’autres traitements inhumains (D.Z. contre la Suisse). La Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) a également reproché à la Suisse d’avoir mené des investigations insuffisantes et d’avoir pris des décisions incohérentes, violant ainsi l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

*Le concept des «races humaines» prétendument naturelles n’existe pas. Scientifiquement indéfendable, il constitue une construction sociale qui est au cœur de l’idéologie raciste. Dans cet article, le terme «race» a été placé entre guillemets afin de souligner sa construction sociale et de permettre une analyse de l’inégalité et de la discrimination structurelles.

Informations complémentaires