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Violences policières lors du G-8 à Gêne: Strasbourg condamne l’Italie

22.05.2015

Un mort et 500 blessés. C’est le bilan qui ressort des violentes interventions policières survenues à Gêne dans le cadre du sommet du G-8 de 2001. Un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 15 avril 2015 constate une violation par l‘Italie de l’article 3 de la Convention, interdisant la torture et les traitements inhumains ou dégradants, dans le cadre d’une action policière en marge du G8. Strasbourg souligne que la législation pénale italienne est inadéquate et dépourvue d’effets dissuasifs pour prévenir efficacement la réitération de possibles violences policières.

C’est un altermondialiste italien qui a déposé recours auprès de la CrEDH. Âgé de 62 ans en 2001, il a été arbitrairement passé à tabac par la police alors qu’il se trouvait dans une école qui servait de dortoir aux protestataires. Les policiers responsables n’ont jamais été sanctionnés pour leurs actes.

Contexte tendu

Il y a 14 ans, le sommet du G8 avait suscité un important mouvement de protestation, amenant près de 300 000 personnes issues de toute l’Europe et des États Unis à Gêne. Les manifestant-e-s étaient encadré-e-s par quelque 20 000 policières et policiers. De nombreux incidents, accrochages avec les forces de l’ordre, saccages, attaques, vandalisme et dévastations eurent lieu dans la ville tout au long du sommet. Ces violences avaient culminées avec la mort d‘un jeune homme, tué d’une balle dans la tête par un policier. L’affaire fut portée devant la Cour européenne des droits de l’homme dans une procédure séparée. En 2011, la Grande chambre conclut à une non-violation de l’article 2 concernant l’usage excessif de la force, jugeant que le recours à la force meurtrière avait été absolument nécessaire «pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale», au sens de l’article 2  CEDH.  (voir Giuliani et Gaggio c. Italie).

Brutalités policières

L’affaire Cestaro c. Italie concerne quant à elle les événements survenus à la fin du sommet en juillet 2001, dans une école mise à la disposition par les autorités municipales afin de servir de lieu d’hébergement nocturne pour les manifestant-e-s. Une unité de police spéciale antiémeute avait investi le bâtiment vers minuit afin de procéder à une perquisition pour recueillir des éléments de preuve et, éventuellement, arrêter les membres des black blocks, un groupe d’altermondialistes radicaux à l’origine de saccages. Une fois dans le bâtiment, les agents avaient systématiquement frappé les occupants d’une façon cruelle et sadique, y compris au moyen de matraques non réglementaires. Il y eut au final 73 blessés, dont certains graves. Arnaldo Cestaro se trouvait parmi eux. À l’arrivée de la police, il s’était assis dos contre le mur et avait levé les bras en l’air. Il fut malgré cela frappé à plusieurs fois et les coups causèrent de multiples fractures, qui lui ont laissé de nombreuses séquelles physiques.

Impunité

Avant d’arriver à la Cour européenne des droits de l’homme, Arnaldo Cestaro est passé par toutes les instances internes disponibles en Italie. Les actes commis par les policiers ont été reconnus. La Cour de cassation italienne a souligné qu’il s’agissait de violences injustifiées, exercées dans un but punitif, un but de représailles, visant à provoquer l’humiliation et la souffrance physique et morale des victimes. Pourtant, aucun policier n’a été condamné pour ces violences. En l’absence d’une interdiction pénale explicite de la torture dans l’ordre juridique italien, les violences en cause avaient été poursuivies au titre des délits de lésions corporelles simples ou aggravées, lesquels, en application de l’article 157 du Code pénal italien, avaient fait l’objet d’un non-lieu pour cause de prescription au cours de la procédure. Personne n’a donc eu à répondre de ces actes, pourtant avérés.

Les policiers coupables des violences subies par Arnaldo Cestaro n’ont par ailleurs pas pu être formellement identifiés. Contrairement aux recommandations de la Cour, les membres de l’expédition policière ne portaient en effet aucun élément permettant de les distinguer, pas même un numéro de matricule. C’est la raison pour laquelle le procureur général italien n’a pas pu porter plainte contre ces personnes. La CrEDH a imputé ce manquement à la police, regrettant «que la police italienne ait pu refuser impunément d’apporter aux autorités compétentes la coopération nécessaire à l’identification des agents susceptibles d’être impliqués dans des actes de torture».

De la nécessité d’une interdiction explicite de la torture

Eu égard à l’ensemble des circonstances exposées, la Cour a jugé que les mauvais
traitements subis par le requérant lors de l’irruption de la police dans l’école Diaz-Pertini doivent
être qualifiés de «tortures» au sens de l’article 3 de la Convention. Elle a souligné en particulier que c’est la législation pénale italienne appliquée en l’espèce qui s’est révélée à la fois inadéquate par rapport à l’exigence de sanction des actes de torture en question et dépourvue de l’effet dissuasif nécessaire pour prévenir d’autres violations similaires de l’article 3 à l’avenir. En matière de torture ou de mauvais traitements infligés par des agents de l’État, l’action pénale ne devrait en effet pas s’éteindre par l’effet de la prescription, de même que l’amnistie et la grâce ne devraient pas être tolérées dans ce domaine. Cela n’aurait d’ailleurs pas été le cas si la législation italienne disposait d’une interdiction explicite de la torture dans son code pénal. L’article 3 de la Convention, selon une jurisprudence bien établie de la Cour, entraîne de fait l’obligation de sanctionner de façon adéquate les mauvais traitements et devrait dès lors faire obstacle à la prescription des délits ou de l’action pénale pour les actes de torture. Sans législation adéquate, rappelle la Cour, l’interdiction légale générale de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants serait inefficace en pratique. Et il serait, comme dans l’affaire soulevée ici, possible dans certains cas à des agents de l’État de fouler aux pieds, en jouissant d’une quasi-impunité, les droits de ceux soumis à leur contrôle.

L’Italie doit réagir

La CrEDH est ainsi arrivée à la conclusion que la réaction des autorités n’a pas été adéquate compte tenu de la gravité des faits et n’est de ce fait pas compatible avec les obligations résultant de la CEDH. L’Italie doit désormais combler cette lacune et assurer que, en cas de violences policières d’une intensité telle qu’elles tombent sous la dénomination de torture, la loi permette un recours efficace menant à une sanction pénale.

L’Italie peut encore faire recours contre cette décision auprès de la Grande Chambre. L’on ne peut cependant qu’espérer qu’elle décidera plutôt d’investir son temps et son énergie à combler cette grave lacune en terme de protection de droits humains en établissant un cadre juridique permettant d’éviter de nouveaux abus policiers d’une telle ampleur ou pour le moins de les poursuivre et de les sanctionner efficacement s’ils se produisent.

Et pour la Suisse?

Les considérations sans équivoque de la Cour ont un écho tout particulier en Suisse. En effet, la Suisse ne connaît pas non plus d’interdiction explicite de la torture dans le Code pénal, bien que nombre d’organes des droits humains aient déjà demandé à ce que cela soit rectifié. Un cas comme celui traité par la Cour concernant l’Italie rappelle que chez nous aussi, il faudrait voir si l’interdiction de la torture est suffisamment couverte dans la législation existante. Ou si au contraire ce point doit être traité d’urgence, comme l’avancent différentes ONG ainsi que la Commission nationale de prévention de la torture – CNPT (voir notre article sur le sujet).

Sources